XVI. - JEANNE D'ARC ET L'IDEAL CELTIQUE.

O terre de granit, recouverte de chênes !

BRIZEUX.

Un soir, l'Esprit de J. Michelet, précédant et annonçant celui de Jeanne d'Arc, nous tenait ce langage, au cours d'une de nos séances d'études : " Jeanne acquit dans ses existences antérieures le sentiment des grands devoirs qu'elle aurait à remplir. Nous nous sommes rencontrés plusieurs fois dans ces temps lointains. Ce lien, établi entre elle et nous, l'attire. De même qu'elle m'a inspiré, elle vous inspirera. Mon livre n'a été qu'un écho de sa passion pour la France et pour la vérité. Maintenant, elle va descendre vers vous, pour vous apporter une parcelle de la vérité divine. "

Nombreuses ont été les existences de Jeanne sur la terre, comme celles de toutes les âmes qui parcourent avec nous le cycle immense des évolutions. Il y en eut de brillantes, vécues sur les marches d'un trône ; il y en eut d'obscures, mais toutes ont été bienfaisantes pour autrui, fécondes pour son propre avancement.

Ses premières vies terrestres se succédèrent à l'époque celtique, au pays d'Armor. C'est là que sa personnalité s'imprégna de ce génie particulier, fait d'idéal, d'intrépidité et de poésie rêveuse, que l'on retrouve en elle au quinzième siècle.

Dès son enfance à Domremy, elle aimait à fréquenter les lieux où s'accomplirent les rites druidiques : les bosquets de chênes, témoins des anciens appels aux âmes, les fontaines sacrées, les monuments de pierre brute que l'on rencontrait çà et là aux environs de son village. Elle aimait à s'enfoncer dans la forêt profonde, à en écouter les harmonies, lorsqu'elle frémit et vibre comme une harpe gigantesque sous les souffles du vent. De son regard de voyante, elle distinguait sous ses voûtes les ombres mystérieuses de ceux qui présidaient aux évocations et aux sacrifices. Parmi ses guides invisibles, on pouvait rencontrer les Esprits protecteurs des Gaules, ceux-là mêmes qui, dans tous les siècles, assistent les fils d'Arthur et de Merlin, et donnent à ceux qui luttent pour une noble cause, la volonté et l'amour qui mènent à la victoire.

En vain le gui est mort sur les branches, en vain la flamme sacrée s'est éteinte dans les foyers, la foi aux vies immortelles et aux mondes supérieurs vivra toujours dans le coeur de Jeanne. Tous les historiens qui ont su analyser et comprendre son caractère, ont reconnu en elle ce double courant celtique et chrétien, dont tout à l'heure, elle nous indiquera elle-même l'origine. Henri Martin, notamment, l'avait constaté dans les pages de son Histoire. Il l'appelle d'abord en ces termes les souvenirs celtiques, encore vivants au temps de l'héroïne :

" Près de la maison de Jeanne d'Arc, un sentier montait, à travers des touffes de groseilliers, vers le sommet du coteau ; la crête boisée se nommait le Bois Chesnu. A mi-côte, jaillissait, sous un grand hêtre isolé, une fontaine, objet d'un culte traditionnel. Les malades tourmentés de la fièvre venaient, de temps immémorial, chercher leur guérison dans ces eaux pures... Des êtres mystérieux, antérieurs chez nous au christianisme, et que nos paysans n'ont jamais consenti à confondre avec les esprits infernaux de la légende chrétienne, les génies des eaux, des pierres et des bois, les dames faées hantaient le hêtre séculaire et la claire fontaine. Le hêtre s'appelait le Beau Mai. Au retour du printemps, sous l'arbre de mai, " beau comme les lis ", les jeunes filles venaient danser et suspendre aux rameaux, en l'honneur des fées, des guirlandes qui disparaissaient, disait-on, pendant la nuit1. "

Henri Martin décrit ensuite les impressions de la vierge lorraine :

" Les deux grands courants du sentiment celtique et du sentiment chrétien, qui s'étaient unis pour enfanter la poésie chevaleresque, se mêlent de nouveau pour former cette âme prédestinée. La jeune pastoure tantôt rêve au pied de " l'arbre de mai " ou sous les chênes... tantôt s'oublie au fond de la petite église, en extase devant les saintes images qui resplendissent sur les vitraux... Quant aux fées, elle ne les a jamais vues mener au clair de lune les cercles de leur danse autour du beau mai ; mais sa marraine les a rencontrées jadis, et Jeanne croit apercevoir parfois des formes incertaines dans les vapeurs du crépuscule : des voix gémissent le soir entre les rameaux des chênes ; les fées ne dansent plus ; elles pleurent ; c'est la plainte de la vieille Gaule qui expire2 ! "

Enfin, parlant du procès de Rouen, le même auteur dit encore3 :

" Jeanne sut opposer le libre génie gaulois à ce clergé romain qui veut prononcer en dernier ressort sur l'existence de la France. Par elle, le génie mystique revendique les droits de la personne humaine avec la même force que le génie philosophique ; la même âme, la grande âme de la Gaule, éclose dans le Sanctuaire du Chêne, éclate également dans le libre arbitre de Lérins et du Paraclet, dans la souveraine indépendance de l'inspiration de Jeanne et dans le Moi de Descartes. "

Jeanne elle-même, confirmant ces vues, s'exprimait ainsi, dans un message dicté à Paris, en 18984 :

" Remontons, pendant un instant, le cours des âges, afin de vous apprendre quel chemin j'ai parcouru pour me préparer à cette étape douloureuse que vous connaissez.

" Elles ont été multiples, les existences qui ont contribué à mon avancement spirituel. Elles se sont écoulées dans la vieille Armorique, sous le dôme des grands chênes séculaires, couverts du gui sacré. C'est là que, lentement, je me suis acheminée vers l'étude des lois de l'esprit et le culte de la patrie.

" O heures bénies entre toutes, où le barde, par ses chants d'allégresse, faisait retentir nos coeurs et ouvrait nos yeux à la lumière, en nous laissant entrevoir les merveilles de l'infini ! Il nous enseignait alors que le passage du trépas à la résurrection glorieuse de l'Esprit dans l'espace, n'était qu'une simple transformation, sombre ou lumineuse, selon que l'homme suivait la voie de la justice et de l'amour ici-bas, ou qu'il se laissait dominer par les forces passionnelles de la matière. Il nous faisait comprendre les lois de la solidarité et de l'abnégation ; il nous enseignait ce qu'était la prière et nous disait : " Prier, c'est triompher ; la prière, c'est le moteur dont se sert la pensée pour stimuler les facultés de l'Esprit, qui sont pour lui, dans l'espace, ses outils. La prière est l'aimant puissant duquel se dégage le fluide magnétique spirituel, qui, non seulement peut soulager et guérir, mais qui ouvre à l'esprit des horizons sans fin, et lui permet de satisfaire ce désir de connaître et de se rapprocher sans cesse de cette source divine, d'où toute chose découle. La prière est le fil conducteur qui met la créature en relation avec le Créateur et ses missionnaires célestes. "

" Un jour, pénétrée de ces vérités, je m'endormis et j'eus la vision suivante : J'assistai d'abord à bien des combats, hélas ! qu'il était impossible d'éviter en raison du libre arbitre de chacun, mais surtout à cause de l'amour de l'or et de la domination, ces deux fléaux de l'humanité. Puis je vis aussi clairement la grandeur future de la France et son rôle civilisateur dans l'avenir. Je résolus de m'y attacher tout spécialement.

" Aussitôt une foule sympathique m'entoure. La majeure partie pleurait et regrettait ma perte. Puis, le poison, le gibet, le bûcher, passent lentement devant moi. Je sentis les flammes consumer ma chair et je m'évanouis !... mais des voix amies me rappelèrent à la vie et me dirent : " Espère ! La phalange céleste qui a pour mission de veiller sur ce globe, t'a choisie pour la seconder dans son oeuvre, et pour ton avancement spirituel. Mortifie ta chair, afin que ses lois ne puissent entraver ton esprit. L'épreuve sera courte, mais rude. Prie, et la force te sera donnée ; tu recueilleras de ta mission les bénédictions de tous dans l'avenir. Tu assureras le triomphe de la foi raisonnée sur l'erreur et la superstition. Prépare-toi à faire en tout la volonté du Seigneur, afin que, l'heure venue, tu aies acquis assez de force morale pour résister aux hommes et obéir à Dieu ! En suivant ces conseils, les messagers célestes viendront vers toi, tu entendras leurs voix, ils te guideront et te conseilleront ; tu peux être sans crainte, ils ne t'abandonneront pas !

" Comment décrire l'élan suprême qui s'empara de moi ! Je sentis l'aiguillon de l'amour pénétrer tout mon être. Je n'eus plus qu'un but : travailler à l'affranchissement spirituel de cette contrée bénie, dans laquelle je venais de goûter au pain de vie et de boire à la coupe des forts. Cette vision fut pour mon âme un viatique céleste. "

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* *

Là-bas, aux confins du continent, comme une immense citadelle à laquelle la mer et la tempête livrent un éternel assaut, se dresse une terre étrange, austère, recueillie, propice à l'étude, aux méditations profondes.

Au centre, en un vaste plateau, s'étendent, à perte de vue, les landes parsemées de bruyères roses, de genêts d'or, d'ajoncs épineux. Puis, les champs de blé noir alternent avec les pommiers rabougris ; des bois de chênes, si épais qu'aucun rayon de lumière ne pénètre sous leurs ramures, bordent l'horizon.

C'est la Bretagne, le sanctuaire de la Gaule, le lieu sacré où dort l'âme celtique de son lourd sommeil de vingt siècles.

Que de fois j'ai parcouru, le bâton à la main, ses halliers, ses ravins sauvages, ses criques découpées par le flot ! que de fois j'ai interrogé l'Océan du haut de ses promontoires de granit ! Je connais les plis et les replis de ses côtes et de ses vallées. Je connais les solitudes de ses forêts ombreuses et murmurantes : Kénécan, Coatmeur et, par-dessus tout, Brocélyande, où dort Merlin, le barde gallois à la harpe d'or, l'enchanteur enchanté par Viviane, la belle fée, qui symbolise la nature, la matière, la chair. Mais Merlin se réveillera, car Radiance, son âme inspirée, son génie immortel, veille et, vienne l'heure, saura l'arracher, lui et ses fils, aux voiles du sensualisme, qui paralysent leur action et arrêtent l'essor de leur pensée.

La Bretagne ne ressemble à aucun autre pays. Sous les sombres rameaux de ses chênes, sur ses landes grises et mornes où bruit la triste mélopée du vent, sur ses côtes déchiquetées, où les lames écumantes livrent aux remparts de rochers un incessant combat, partout on sent planer une influence mystérieuse ; partout on sent passer comme le souffle de l'invisible. La terre, l'espace et les eaux, tout y est plein de voix, qui murmurent à l'âme du rêveur mille secrets oubliés. La poésie de la terre bretonne a quelque chose d'austère qui vous enveloppe et vous émeut. Elle est virile et pénétrante. Ses enseignements, lorsqu'ils sont compris et appliqués, font les grandes âmes, les caractères héroïques, les fiers et profonds penseurs.

Là subsistent les derniers rejetons de la race ; là aussi se perpétuent les accents de cette langue sonore, dont les phrases retentissent comme des cliquetis d'épée et des chocs de boucliers.

C'est la terre d'Armor ! Ar-mor-ic, pays de la mer, où s'est cachée, derrière la triple muraille des forêts, des montagnes et des récifs, l'âme profonde, le génie mélancolique et rêveur de la Gaule. Là seulement, vous retrouverez dans toute sa pureté la race vaillante, tenace et forte, qui a rempli le monde du bruit de ses exploits ; vous la retrouverez sous ses deux aspects : celui que César a décrit dans ses Commentaires, l'aspect gaélique, à l'esprit vif, léger et changeant, et l'aspect kymrique, la branche la plus moderne de la race celtique, grave, parfois triste, fidèle à ses attachements, passionnée pour ce qui est grand, gardant jalousement, dans les replis cachés de son âme, l'arche sainte des souvenirs.

Cette race, rien n'a pu la lasser ; elle a résisté deux cents ans par les armes, comme l'a dit Michelet, et mille ans par l'espérance ; vaincue, elle étonne encore ses vainqueurs. Pourtant elle a su se donner, et c'est par un mariage que la France se l'est assimilée.

L'âme celtique a son sanctuaire en Bretagne, mais les vibrations de sa pensée et de sa vie s'étendent au loin sur toute la région qui fut la Gaule, de l'Escaut aux Pyrénées, de l'Océan aux pays des Helvètes. Elle s'est créé sur tous les points du sol national des retraites cachées, où vit, latente, la pensée des âges. C'est le plateau central, l'Ar-vernie, la " haute demeure ", le Morvan, les âpres Cévennes, les forêts lorraines où Jeanne entendait ses " voix ".

Qu'est-ce donc que l'âme celtique ? C'est la conscience profonde de la Gaule. Refoulée par le génie latin, opprimée par la brutalité franque, méconnue, oubliée par ses propres enfants, l'âme celtique subsiste à travers les siècles.

C'est elle qui reparaît aux heures solennelles de l'histoire, aux époques de désastre et d'écroulement, pour sauver la patrie en péril. C'est la vieille mère qui tressaille chaque fois que le pied de l'ennemi souille sa couche, et se lève de son sommeil pour faire appel à ses fils et chasser l'étranger.

D'elle encore viennent les souffles puissants, les impulsions irrésistibles, les inspirations grandioses, qui ont fait de la France le champion de l'idée et l'inspiratrice de l'humanité.

Aussi la France ne peut-elle périr, malgré ses fautes, ses faiblesses, ses décadences et ses chutes. Chaque fois que l'abîme s'est ouvert sous ses pas, du sein des espaces une main s'est tendue vers elle pour la guider. Pendant la guerre de Cent ans, comme au temps de la Révolution, l'âme celtique reparaît, pour entraîner, pour enflammer les héros. C'est elle qui inspire les envoyés providentiels et change la face des choses.

Parfois elle se recueille, l'âme celtique ; elle sommeille, elle dort. Et alors, quand sa voix se tait, son peuple s'affaisse ; il perd sa virilité, sa grandeur ; il se laisse glisser peu à peu sur la pente du doute, du sensualisme, de l'indifférence ; il ne sait plus rien des vertus, des puissances cachées en lui. Mais les réveils sont éclatants. Et, tôt ou tard, l'âme celtique reparaît, jeune, ardente, impétueuse, pour indiquer à ses fils le chemin des grandes cimes et la source des hautes inspirations.

Nous en étions là en 1914. Depuis un siècle l'âme celtique se taisait ; le génie national perdait de son éclat. La France se matérialisait et dégénérait, mais la tourmente est venue. Aux heures de péril on a vu l'âme de la Gaule se dresser dans ses longs voiles et rappeler à ses fils le but sublime, la tâche sacrée. Et après tant de deuils et d'épreuves, voici que son doigt, levé vers le ciel, nous montre l'aube, le renouveau de l'idée, le triomphe définitif et prochain de la pensée celtique, dégagée des ombres qu'ont accumulées sur elle vingt siècles d'oppressions et d'erreurs étrangères.

Pourtant certaines manifestations de la pensée celtique se produisaient çà et là. Déjà avant la guerre, le contre-amiral Réveillère écrivait au Conseil municipal de Paris à propos de menhir brisé de Locmariaker qu'on voulait ériger au Champ de Mars :

" Il faut que le panceltisme redevienne une foi, une religion. L'oeuvre de notre époque est double. C'est d'abord le renouvellement de la foi chrétienne, entée sur la doctrine celtique de la transmigration des âmes, comme la croix s'est entée sur le menhir, doctrine seule capable de satisfaire l'intelligence, par la croyance en la perfectibilité indéfinie de l'âme humaine, dans une suite d'existences successives. La seconde est la restauration de la patrie celtique et la réunion, en un seul corps, de ses membres aujourd'hui séparés. Nous ne sommes pas des Latins, nous sommes des Celtes ! "

Depuis lors, ce mouvement d'idées a pris une grande extension. Tous les ans, une assemblée ou eisteddfod réunit, sur quelque point de la terre celtique, les représentants les plus illustres de la race. Chaque région y envoie ses délégués : Ecossais, Irlandais, Gallois, Bretons de France, Cornouaillais, insulaires de Man, celtisants venus d'Amérique et même d'Australie, car " dans n'importe quelle partie du monde, les Celtes sont frères ". Tous s'assemblent, unis dans un même symbole, pour célébrer les grands ancêtres et se livrer aux joutes de la pensée.

Bien plus nombreux encore sont ceux qui, à l'heure présente, poursuivent la lutte en faveur du Celtisme renaissant sous la forme du spiritualisme moderne.

Aussi croyons-nous utile de redire ici, en termes succincts, ce qu'étaient les croyances de nos pères.

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Les travaux d'éminents historiens, de penseurs érudits5, en dissipant les préjugés semés dans nos esprits par les auteurs latins et les écrivains catholiques, ont jeté une vive lumière sur les institutions et les croyances des Gaulois.

La philosophie des druides, reconstituée dans son imposante grandeur, s'est trouvée conforme aux aspirations des nouvelles écoles spiritualistes.

Comme nous, les druides affirmaient l'infinité de la vie, les existences progressives de l'âme, la pluralité des mondes habités.

C'est dans ces doctrines viriles, dans le sentiment de l'immortalité qui en découle, que nos pères puisaient leur esprit de liberté, d'égalité sociale, leur héroïsme en face de la mort.

Une sorte de vertige s'empare de notre pensée, lorsque, nous reportant à vingt siècles en arrière, nous considérons que les principes de la nouvelle philosophie étaient répandus dans toute la société gauloise, qu'ils en inspiraient les institutions et en fécondaient le génie.

Cette grande lumière, qui éclaira la terre des Gaules, s'éteignit tout à coup. La main brutale de Rome, en chassant les druides, fit place aux prêtres chrétiens. Puis vinrent les Barbares ; alors la nuit s'étendit sur la pensée, cette nuit du moyen âge, longue de dix siècles, si épaisse que les rayons de la vérité ne semblaient jamais devoir la dissiper.

Enfin, après une gestation lente et douloureuse, la foi de nos ancêtres, rajeunie, complétée par les travaux scientifiques, par les conquêtes intellectuelles des derniers siècles, adoucie sous l'influence du christianisme, renaît sous une forme nouvelle. Fils des Gaulois, nous reprenons l'oeuvre de nos pères. Armés de la tradition philosophique qui fit leur grandeur, éclairés comme eux sur les mystères de la vie et de la mort, nous offrons à la société actuelle, envahie par les instincts matériels, un enseignement qui lui apporte, avec le relèvement moral, les moyens d'assurer ici-bas le règne de la justice, de la vraie fraternité. Il importe donc de rappeler ce que fut, au point de vue des croyances et des aspirations, ce passé de notre race. Il importe de rattacher le mouvement philosophique moderne à ces conceptions de nos pères, à ces doctrines des druides, si rationnelles, basées sur l'étude de la nature et l'observation des forces psychiques, de montrer dans la rénovation spiritualiste une véritable résurrection du génie de la Gaule, une reconstitution des traditions nationales, que tant de siècles d'oppression et d'erreur ont pu voiler, mais non détruire.

La base essentielle du druidisme était la croyance aux vies progressives de l'âme, à son ascension sur l'échelle des mondes. C'est sur cette notion fondamentale de la destinée, que je crois devoir insister ici.

Je voudrais avoir les ressources de l'éloquence et la persuasion du génie, pour exposer cette grande loi des Triades6 et dire comment, des profondeurs du passé, du sein des abîmes de vie, sourdent sans cesse, se déroulent et montent les longues théories des âmes. Le principe spirituel qui nous anime doit descendre dans la matière pour s'individualiser, et constituer, puis développer, par son lent travail séculaire, ses facultés latentes et son moi conscient. De degré en degré, il se façonne des formes, des organismes appropriés aux besoins de son évolution, formes périssables, qu'il abandonne à la fin de chaque existence comme un vêtement usé, pour en rechercher d'autres plus belles, mieux adaptées aux nécessités de ses tâches grandissantes.

Dans toute la durée de son ascension, il reste solidaire du milieu qu'il occupe, lié à ses semblables par des affinités mystérieuses, concourant à leur progrès, comme eux travaillent au sien. Il redescend de vie en vie, dans le creuset toujours plus vaste, toujours changeant de l'humanité, pour conquérir des vertus, des connaissances, des qualités nouvelles. Puis, quand il a acquis sur un monde tout ce que celui-ci pouvait lui donner de science et de sagesse, il s'élève vers des sociétés meilleures, vers des sphères mieux partagées, entraînant tous ceux qu'il aime avec lui.

Vers quel but monte-t-il ? Quel sera le terme ultime de ses efforts ? Ce but paraît si lointain ! N'est-ce pas folie que de prétendre l'atteindre ? Le navigateur qui vogue à travers les vastes solitudes de l'Océan, a choisi comme objectif de sa course, l'étoile dont la lumière tremble là-bas à l'horizon. Comment pourrait-il y parvenir ? Des distances infranchissables les séparent ! Et cependant cette étoile, perdue au fond des cieux, il pourra la connaître un jour, dans un autre temps et sous une autre forme. De même, l'homme terrestre que nous sommes, connaîtra un jour les mondes de la vie heureuse et parfaite. La perfection dans la plénitude de l'être, voilà le but. Toujours apprendre, approfondir les divins mystères. L'infini nous attire. Nous passons l'éternité à parcourir l'immensité, à en goûter les splendeurs, les beautés enivrantes. Devenir toujours meilleure, toujours plus grande par l'intelligence et par le coeur, s'élever dans une harmonie toujours plus pénétrante, dans une lumière toujours plus vive, entraîner avec soi tout ce qui souffre, tout ce qui ignore : voilà le but assigné à toute âme par la loi divine.

N'y a-t-il pas une haute idée de la vie dans cette conception des Triades ! L'homme, artisan de ses destinées, par ses actes prépare lui-même et construit son avenir. Le but réel de l'existence, c'est l'élévation par l'effort, par l'accomplissement du devoir, par la souffrance même. Plus cette vie est semée d'amertume, plus elle est féconde pour celui qui la supporte avec vaillance. Elle est comme un champ clos, où le brave montre son courage, conquiert un grade plus élevé ; c'est un creuset où le malheur, où les épreuves font pour la vertu ce que le feu produit sur les métaux qu'il affine et purifie. A travers des vies multiples et des conditions diverses, l'homme précipite sa course terrestre, passant de l'une à l'autre, après un temps de repos et de recueillement dans l'espace ; sans cesse, il avance sur cette voie d'ascension qui n'a pas de terme. Douloureuses et pénibles sont presque toutes ces existences ici-bas, mais fécondes aussi, car c'est par elles que grandissent nos âmes, que s'accroissent force et sagesse.

Une telle doctrine peut fournir aux sociétés humaines un incomparable stimulant pour le bien. Elle ennoblit les sentiments, épure les moeurs ; elle éloigne également des puérilités du mysticisme et des sécheresses du positivisme.

Cette doctrine est la nôtre. Les croyances de nos pères reparaissent élargies, appuyées sur tout un ensemble de faits, de révélations, de phénomènes constatés par la science moderne. Elles s'imposent à l'attention de tous les penseurs.

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Les existences antérieures de Jeanne se sont effacées de sa mémoire à chaque renaissance. C'est la loi commune. La chair est un éteignoir qui étouffe les souvenirs ; le cerveau humain, sauf des cas d'exception7, ne peut reproduire que les sensations enregistrées par lui. Mais toute notre histoire reste gravée dans notre conscience profonde. Dès que l'esprit se détache de sa dépouille mortelle, l'enchaînement des souvenirs se reconstitue, avec d'autant plus d'intensité que l'âme est plus évoluée, plus éclairée, plus parfaite. Malgré l'oubli temporaire, le passé est toujours vivant en nous ; il se retrouve dans chacune de nos vies terrestres, sous la forme des aptitudes, des facultés, des goûts acquis, dans les traits de notre caractère et de notre mentalité. Il suffirait de nous étudier nous-mêmes avec attention, pour reconstruire les grandes lignes de notre passé. Il en était de même pour Jeanne d'Arc, en qui on pouvait retrouver les traces de ses vies celtiques et celles, moins anciennes, de ses existences de patricienne, de grande dame, éprise de costumes éclatants et de belles armures. Ce qui persiste en elle, surtout, de ses premières vies, c'est cette forme particulière et bien accusée du mysticisme des druides et des bardes, c'est-à-dire l'intuition directe des choses de l'âme qui réclame une révélation personnelle, et n'accepte pas la foi imposée. Ce sont ses facultés de voyante, propres à la race celtique, si répandues aux origines de notre histoire, et que l'on retrouve encore aujourd'hui dans certains milieux ethniques, particulièrement en Ecosse, en Irlande et dans la Bretagne armoricaine. C'est par l'usage méthodique de ces facultés, qu'on peut expliquer la connaissance approfondie qu'avaient les druides du monde invisible et de ses lois. La fête du 2 novembre, la commémoration des morts, est de fondation gauloise. On pratiquait l'évocation des défunts dans les enceintes de pierres. Les druidesses et les bardes rendaient des oracles.

L'histoire en fournit des exemples8. Elle rapporte que Vercingétorix s'entretenait, sous la sombre ramure des bois, avec les âmes des héros morts pour la patrie. Comme Jeanne, cette autre personnification de la Gaule, le jeune chef entendait des voix mystérieuses.

Un autre épisode de la vie de Vercingétorix prouve que les Gaulois évoquaient les Esprits dans les circonstances graves.

A l'extrémité du vieux continent, au point où finit l'âpre plateau de la Cornouaille bretonne, de hautes falaises se dressent sous un ciel chargé de nuées. Les vagues courroucées y livrent aux rocs gigantesques une bataille éternelle. Rapides, écumantes, semblables à des murailles liquides, elles accourent du large et se ruent sur les remparts de granit. Ceux-ci, rongés par l'action des eaux, sèment la plage de leurs débris. Au sein des nuits d'hiver, le roulement des blocs entrechoqués, la clameur immense de l'Océan se font entendre à plusieurs lieues à l'intérieur des terres. Ils éveillent dans les coeurs une crainte superstitieuse. A peu de distance de cette côte sinistre, au milieu des écueils blancs d'écume, s'étend une île, jadis parsemée de bosquets de chênes, sous lesquels s'élevaient des autels de pierre brute. C'est Sein, antique demeure des druidesses, Sein, sanctuaire du mystère, que le pied de l'homme ne souillait jamais. Pourtant, avant de soulever la Gaule contre César et, dans un suprême effort, tenter de délivrer la patrie du joug étranger, Vercingétorix s'y rendit, muni d'un sauf-conduit du chef des druides. Là, au milieu des éclats de la foudre, dit la légende, le génie de la Gaule lui apparut, et lui prédit sa défaite et son martyre.

Certains faits de la vie du grand chef gaulois ne s'expliquent que par des inspirations occultes. Par exemple, sa reddition à César, devant Alésia. Tout autre Celte se serait donné la mort, plutôt que de se livrer au vainqueur et de servir de trophée à son triomphe. Vercingétorix accepte l'humiliation comme une réparation de fautes graves, commises dans ses vies antérieures et qui lui avaient été révélées.

Tels furent les principes essentiels de la philosophie druidique : en première ligne, l'unité de Dieu. Le Dieu des Celtes a pour temple l'infini des espaces ou les retraites mystérieuses des grands bois. Il est, par-dessus tout, force, vie, amour. Ces espaces sont parsemés de mondes, étapes des âmes dans leur ascension vers le bien, à travers des vies toujours renaissantes, vies de plus en plus belles et heureuses, suivant les mérites acquis. Une communion intime relie les vivants de la terre aux défunts, invisibles mais présents.

Cet enseignement développait dans les esprits de hautes notions de progrès et de liberté. C'est grâce à lui que le Celte a introduit dans le monde ce goût de l'idéal, que le Romain, plus attaché aux réalités positives, ne connut jamais. Le Celte est porté vers les grandes et généreuses actions. De la guerre, il aime la gloire et non le profit. Son âme est magnanime. Il sait pratiquer le renoncement, mépriser la peur, défier la mort. De là, son attitude au sein des combats.

Etudiez bien Jeanne d'Arc et vous retrouverez en elle tous ces sentiments, tous ces goûts. Jeanne d'Arc est comme une synthèse de l'âme celtique et de l'âme française, dans ce qu'elles ont de plus pur et de plus élevé. C'est pourquoi son souvenir rayonnera toujours comme une étoile au firmament assombri de la patrie. A toutes les heures de détresse nationale, la France se tournera instinctivement vers elle, comme vers son palladium vivant et protecteur.

Nouvelle Velléda, dernière fleur éclose parmi les touffes du gui sacré, Jeanne personnifie le génie de la Gaule et l'âme de la France.

Toutes les formes, tous les signes caractéristiques des facultés dont les voyants et les druidesses étaient doués, se retrouvent en elle ; elle est le médium par excellence, et les Esprits protecteurs de la Gaule, devenue la France, se sont servis d'elle pour la sauver. Or, pour sauver un peuple, il faut être du plus pur de sa substance, se rattacher aux racines vivaces de ses origines et de toute son histoire. Jeanne fut cela au degré le plus éminent ; c'est pourquoi elle incarne en elle le double génie de la Gaule celtique et de la France chrétienne.

Une partie de notre race a perdu sa nationalité distincte, pourtant l'âme celtique survit dans la nation française. Elle en est, disions-nous, la conscience profonde, et, de même que les puissances accumulées en nous au cours des âges et endormies sous la chair, ont des réveils éclatants, de même l'âme celtique reparaîtra en une résurrection splendide, pour sauver, non plus, comme autrefois, la vie matérielle de son peuple, mais sa vie morale compromise. Elle viendra réveiller, dans les âmes lassées, l'amour de la connaissance et la volonté du sacrifice. Elle nous redira les paroles consacrées, les appels émouvants, qui faisaient retentir les grèves sonores et les échos des forêts. Elle rendra aux esprits hésitants, ballottés sur l'océan de l'incertitude, la vision des horizons où tout est calme et splendeur.

Ce qui manquait à la France actuelle, c'était la science supérieure des destinées, la divine espérance, la confiance sereine en l'avenir infini. Ses éducateurs n'ont pas su lui donner ces choses essentielles, sans lesquelles il n'est pas de véritable grandeur, pas de nobles élans de l'âme. De là vient la stérilité relative de notre époque, l'absence d'idéal et de génie. Mais voici le remède.

En même temps que les courants de la démocratie nous ramènent aux traditions politiques de la Gaule, le spiritualisme expérimental nous ramène à ses traditions philosophiques. Allan Kardec, inspiré par les grands Esprits, a restauré sur un plan élargi les croyances de nos ancêtres. C'est véritablement l'esprit religieux de la Gaule qui se réveille en ce chef d'école. Tout en lui, son nom d'emprunt, absolument celtique, le monument qui, par sa volonté, recouvre sa dépouille mortelle, sa vie austère, son caractère grave, méditatif, son oeuvre entière, rappelle le druide. Allan Kardec, préparé par ses existences passées à la grande mission qu'il vient d'accomplir, n'est que la réincarnation d'un Celte éminent. Lui-même l'affirme par le message suivant, obtenu en 1909 :

" J'ai été prêtre, directeur des prêtresses de l'île de Sein, et j'ai vécu sur les bords de la mer furieuse, à l'extrême pointe de ce que vous appelez la Bretagne. "

" N'oubliez pas le grand Esprit de vie, celui qui fait croître le gui sur les chênes, et que consacrent les antiques pierres de vos aïeux. Je suis heureux de vous assurer que toujours vos pères ont eu la foi ; gardez-la comme eux, car l'esprit celtique n'est pas éteint en France, il a survécu et rendra aux fils la volonté de croire et de se rapprocher de Dieu. "

" N'oubliez pas vos aimés qui sont autour de vous, comme les étoiles du ciel que vous ne voyez pas en plein jour, quoiqu'elles soient toujours là. "

" La puissance divine est infinie ; elle rayonne jusqu'à vous à travers les brumes de la terre, et vous en recevez les rayons épandus et affaiblis. "

" Ecoutez la voix de votre coeur, quand, devant l'océan où les vagues furieuses se poursuivent, vous vous sentez étreints de frayeur et d'espoir. Elle parle haut à ceux qui veulent l'entendre. Vous devez la comprendre, car pour cela vous avez eu tous les enseignements de la terre réunis. "

" Aimez-nous, nous les anciens hommes de la terre, nous avons besoin de votre souvenir, mes bien-aimés. Que vos âmes viennent nous visiter pendant le sommeil que Dieu vous donne ! "

" Vous voulez savoir qui je suis : je vous dirai mon nom, mais qu'importent les noms ! Nous avons laissé sur la terre, avec notre corps, le souvenir des noms et des choses, pour ne plus nous rappeler que les volontés de Dieu et les sentiments qui nous portent vers Lui, pour ne plus connaître là-haut que son amour et sa gloire, car, dans l'infinie lumière, toute flamme semble s'éteindre : le soleil de Dieu la rend moins visible et la fond dans un éternel rayonnement. "

" La terre n'est qu'un lieu de passage, une forêt profonde et obscure, où ne résonnent plus qu'assourdis les échos de la vie des mondes. "

" Nous serons toujours là, les grands guides qui conduisent l'humanité souffrante vers le but inconnu des hommes, mais que Dieu a fixé ; il brille pour nous dans la nuit des temps comme une torche lumineuse. "

" Nous attendons le moment où, enfin libérés, vous pourrez revenir à nous, pour chanter l'hymne éternel qui glorifie Dieu. "

" Ames de France, vous êtes filles des Gaules. Souvenez-vous des croyances de vos ancêtres qui furent aussi les vôtres. Remontez quelquefois par la pensée vers les sources salubres de nos origines, vers les traditions fortes et les hauteurs de notre histoire, pour y retrouver l'énergie et la foi, pour raviver votre esprit et réchauffer votre coeur, dans l'air pur et la beauté des cimes et dans la lumière infinie. "

ALLAN KARDEC.


1 H. MARTIN, Histoire de France, t. VI, pp. 138, 139.


2 H. MARTIN, Histoire de France, t. VI, p. 140.


3 H. MARTIN, Histoire de France, t. VI, p. 302.


4 Revue scientifique et morale du Spiritisme, janvier 1898.


5 Voir : GATIEN ARNOULT, Philosophie gauloise, t. I° ; HENRI MARTIN, t. I° de l'Histoire de France ; ADOLPHE PICTET, Bibliothèque de Genève ; JEAN REYNAUD, l'Esprit de la Gaule.


6 Cyfrinach Beirdd Inys Prydain : Mystères des bardes de l'île de Bretagne, traduction Edward Williams, 1794.


7 Voir : le Problème de l'Etre et de la Destinée, chap. XIV.


8 V. BOSC et BONNEMERE, Histoire nationale des Gaulois.