VIII. - ETATS VIBRATOIRES DE L'AME. LA MEMOIRE.

La vie est une vibration immense qui emplit l'univers et dont le foyer est en Dieu. Chaque âme, étincelle détachée du foyer divin, devient, à son tour, un foyer de vibrations qui varieront, augmenteront d'amplitude et d'intensité suivant le degré d'élévation de l'être. Ce fait peut être vérifié expérimentalement1.

Toute âme a donc sa vibration particulière et différente. Son mouvement propre, son rythme est la représentation exacte de sa puissance dynamique, de sa valeur intellectuelle, de sa hauteur morale.

Toute la beauté, toute la grandeur du vivant univers se résument dans cette loi des vibrations harmoniques. Les âmes qui vibrent à l'unisson se reconnaissent et s'appellent à travers l'espace ; de là les attractions, les sympathies, l'amitié, l'amour ! Les artistes, les sensitifs, les êtres délicatement harmonisés connaissent cette loi et en ressentent les effets. L'âme supérieure est une vibration en puissance de toutes ses harmonies.

L'entité psychique pénètre de ses vibrations tout son organisme fluidique, ce périsprit qui est sa forme et son image, la reproduction exacte de son harmonie personnelle et de sa lumière. Mais vienne l'incarnation, et ces vibrations vont se réduire, s'amortir sous les voiles de la chair. Le foyer intérieur ne pourra plus projeter au-dehors qu'une radiation affaiblie, intermittente. Pourtant, dans le sommeil, le somnambulisme, l'extase, dès qu'une issue est ouverte à l'âme à travers l'enveloppe de matière qui l'opprime et l'enchaîne, le courant vibratoire se rétablit, et le foyer reprend toute son activité. L'esprit se retrouve dans ses états antérieurs de puissance et de liberté. Tout ce qui dormait en lui se réveille ; ses vies nombreuses se reconstituent, non seulement avec les trésors de sa pensée, souvenirs et acquisitions, mais aussi avec toutes les sensations, joies et douleurs, enregistrées dans son organisme fluidique. C'est pourquoi, dans la transe, l'âme, vibrante des souvenirs du passé, affirme ses existences antérieures et renoue la chaîne mystérieuse de ses transmigrations.

Les moindres détails de notre vie s'enregistrent en nous et y laissent des traces ineffaçables. Pensées, désirs, passions, actes bons ou mauvais, tout s'y fixe, tout s'y grave. Pendant le cours normal de la vie, ces souvenirs s'accumulent en couches successives et les plus récents finissent par effacer, en apparence, les plus anciens. Il semble que nous ayons oublié ces mille détails de notre existence évanouie. Cependant il suffit, dans les expériences hypnotiques, d'évoquer les temps écoulés et de replacer le sujet, par la volonté, à une époque antérieure de sa vie, dans sa jeunesse ou même à l'état d'enfance, pour que ces souvenirs reparaissent en foule. Le sujet revit son passé, non seulement avec l'état d'âme et l'association d'idées qui lui étaient particuliers à cette époque - idées parfois bien dissemblables de celles qu'il professe actuellement - avec ses goûts, ses habitudes, son langage, mais aussi en reconstituant automatiquement toute la série des phénomènes physiques contemporains de cette époque. Ceci nous amène à reconnaître qu'il y a corrélation étroite entre l'individualité psychique et l'état organique.

Chaque état mental est associé à un état physiologique ; l'évocation de l'un, dans la mémoire des sujets, amène aussitôt la réapparition de l'autre2.

Etant donnés les fluctuations constantes et le renouvellement intégral du corps physique en quelques années, ce phénomène serait incompréhensible sans le rôle du périsprit, qui garde en lui, gravées dans sa substance, toutes les impressions d'autrefois. C'est lui qui fournit à l'âme la somme totale de ses états conscients, même après la destruction de la mémoire cérébrale. Les Esprits le démontrent par leurs communications, car ils ont conservé dans l'espace les moindres souvenirs de leur existence terrestre.

Cet enregistrement automatique semble s'effectuer sous forme de groupements ou de zones, au-dedans de nous, zones correspondant à autant de périodes de notre vie. De sorte que, si la volonté, au moyen de l'auto-suggestion ou de la suggestion étrangère - ce qui est identique, puisque, nous l'avons vu, la suggestion, pour être efficace, doit être acceptée par le sujet et se transformer en auto-suggestion - si la volonté, disons-nous, fait revivre un souvenir appartenant à une période quelconque de notre passé, tous les faits de conscience se rattachant à cette même période se déroulent aussitôt dans un enchaînement méthodique. M. G. Delanne a comparé ces états vibratoires aux couches concentriques observées dans la section d'un arbre et qui permettent d'en calculer le nombre d'années.

Ceci rendrait compréhensibles les variations de la personnalité dont nous avons parlé. Pour des observateurs superficiels, ces phénomènes s'expliquent par la dissociation de la conscience ; étudiés de près et analysés, ils représentent, au contraire, des aspects d'une conscience unique, correspondant à autant de phases d'une même existence. Ces aspects se révèlent dès que le sommeil est assez profond et le dégagement périsprital suffisant. Si on a pu croire aux changements de personnalités, c'est parce que les états transitoires, intermédiaires, manquent ou s'effacent.

Le dégagement, nous l'avons dit précédemment, est facilité par l'action magnétique. Les passes exercées sur un sensitif relâchent peu à peu et dénouent les liens qui unissent l'esprit au corps. L'âme et sa forme éthérée sortent de la gangue matérielle, et cette sortie constitue le phénomène du sommeil. Plus l'hypnose est profonde, plus l'âme se détache, s'éloigne et recouvre la plénitude de ses vibrations. La vie active se concentre dans le périsprit, tandis que la vie physique est suspendue.

La suggestion accroît encore le rythme vibratoire de l'âme. Chaque idée contient ce que les psychologues appellent la tendance à l'action, et cette tendance se transforme en acte par la suggestion. Celle-ci n'est, en effet, qu'un mode de la volonté. Portée à sa plus haute intensité, elle devient une force motrice, un levier qui soulève et met en mouvement les puissances vitales endormies, les sens psychiques et les facultés transcendantes.

On voit alors se produire les phénomènes de clairvoyance, de lucidité, de réveil de la mémoire. Pour que ces manifestations deviennent possibles, le périsprit doit être impressionné au préalable par un ébranlement vibratoire déterminé par la suggestion. Cet ébranlement, en accélérant le mouvement rythmique, a pour effet de rétablir le rapport entre la conscience cérébrale et la conscience profonde, rapport qui est rompu dans l'état normal, pendant la vie physique. Alors les images, les souvenirs emmagasinés dans le périsprit peuvent se ranimer et redevenir conscients. Mais, dès le réveil, le rapport cesse, le voile retombe, les souvenirs lointains s'effacent peu à peu et rentrent dans la pénombre.

La suggestion est donc le procédé qu'on doit employer de préférence dans ces expériences. Pour ramener les sujets à une époque déterminée de leur passé, on les endort à l'aide de passes longitudinales, pratiquées de haut en bas, puis on leur suggère qu'ils ont tel ou tel âge. On leur fait remonter ainsi toutes les périodes de leur existence ; on peut obtenir des fac-similés de leur écriture qui varient suivant les époques et sont toujours concordants, lorsqu'il s'agit des mêmes époques, évoquées au cours de différentes séances. Au moyen de passes transversales, on les ramène ensuite au point actuel, en repassant par les mêmes phases.

On peut encore - et nous avons procédé nous-même de cette façon - assigner au sujet une date précise de son passé, même le plus éloigné, et la faire renaître en lui. Si le sujet est très sensible, on voit alors se dérouler des scènes d'un intérêt captivant, avec des détails sur le milieu évoqué et les personnages qui y vivent, détails qui sont parfois susceptibles de vérification. On a pu constater, dit le colonel de Rochas, «que les souvenirs ainsi éveillés étaient exacts et que les sujets prenaient successivement les personnalités correspondant à leur âge3

Insistons encore sur ces phénomènes, dont l'analyse projette une vive lumière sur le mystère de l'être. Tous les aspects variés de la mémoire, l'extinction des souvenirs dans la vie normale, leur réveil dans la transe et l'extériorisation, tout s'explique par la différence des mouvements vibratoires qui relient l'âme et son corps psychique au cerveau matériel. A chaque changement d'état, les vibrations varient d'intensité, devenant plus rapides à mesure que l'âme se dégage du corps. Les sensations ressenties dans l'état normal s'enregistrent avec un minimum de force et de durée ; mais la mémoire totale subsiste au fond de l'être. Pour peu que les liens matériels se relâchent et que l'âme soit rendue à elle-même, elle retrouve, avec son état vibratoire supérieur, la conscience de tous les aspects de sa vie, de toutes les formes physiques ou psychiques de son existence intégrale. C'est, nous l'avons vu, ce qu'on peut constater et reproduire artificiellement dans l'état hypnotique. Afin de bien se reconnaître dans le dédale de ces phénomènes, il ne faut pas oublier que cet état comporte des degrés nombreux. A chacun de ces degrés s'attache une des formes de la conscience et de la personnalité ; à chaque phase du sommeil correspond un état particulier de la mémoire ; le sommeil le plus profond fait surgir la mémoire la plus étendue. Celle-ci se restreint de plus en plus à mesure que l'âme réintègre son enveloppe. A l'état de veille ou de réveil correspond la mémoire la plus étroite, la plus indigente.

Ce phénomène de la reconstitution artificielle du passé nous fait comprendre ce qui se produit après la mort, lorsque l'âme, délivrée de son corps terrestre, se retrouve en face de sa mémoire agrandie, mémoire-conscience, mémoire implacable qui conserve l'empreinte de toutes ses fautes et devient son juge et, parfois, son bourreau.

Mais, en même temps, le moi, fragmenté en couches distinctes pendant la vie d'ici-bas, se reconstitue dans sa synthèse supérieure et sa magnifique unité. Toute l'expérience acquise au cours des siècles, toutes les richesses spirituelles, fruits de l'évolution, souvent cachés ou tout au moins amortis, amoindris dans cette existence, reparaissent dans leur éclat et leur fraîcheur, pour servir de bases à de nouvelles acquisitions. Rien n'est perdu. Les couches profondes de l'être, si elles racontent les défaillances et les chutes, proclament aussi les lents, les pénibles efforts accumulés au cours des âges pour édifier cette personnalité, qui ira toujours grandissant, toujours plus riche et plus belle, dans l'épanouissement heureux de ses facultés acquises, de ses qualités, de ses vertus.


1 Les docteurs Baraduc et Joire ont construit des appareils enregistreurs permettant de mesurer la force radiante qui s'échappe de chaque personne humaine et varie selon l'état psychique du sujet. Moi-même j'en ai fait souvent l'expérience à l'aide de plaques photographiques. Celles-ci, dans le bain révélateur, reproduisent les radiations qui se dégagent de l'extrémité des doigts sous la forme de spirales ou de courants variables d'intensité suivant l'élévation de la pensée et l'action de la volonté.


2 Cette loi est connue en psychologie sous le nom de parallélisme psycho-physique. Wundt, dans ses Leçons sur l'âme (2° édition, Leipzig, 1892), disait déjà : «A chaque événement psychique correspond un événement physique quelconque.»
Les expériences des matérialistes eux-mêmes font ressortir l'évidence de cette loi. C'est ainsi, par exemple, que M. Pierre Janet, lorsqu'il replace son sujet Rose à deux années en arrière dans le cours de sa vie actuelle, voit se reproduire chez elle tous les symptômes de l'état de grossesse dans lequel elle se trouvait à cette époque. (P. Janet, professeur de psychologie à la Sorbonne, l'Automatisme psychologique, page 160.)
Voir aussi les cas signalés par les docteurs Bourru et Burot, Changements de la personnalité, page 152 ; par le docteur Sollier, Des Hallucinations autoscopiques (Bulletin de l'Institut psychique, 1902, pages 39 et suiv.) et ceux relatés par le docteur Pitre, doyen de la Faculté de médecine de Bordeaux, dans son livre : le Somnambulisme et l'Hystérie.


3 Annales des Sciences psychiques, juillet 1905, page 350.
Voir aussi l'ouvrage du colonel de Rochas : les Vies successives, Chacornac, édit., 1911, pages 40, 62, 66-109.