IV. - LA PERSONNALITE INTEGRALE.

La conscience, le moi est le centre de l'être, le fonds même de la personnalité.

Etre une personne, c'est avoir une conscience, un moi qui se réfléchit, s'examine, se souvient. Mais peut-on connaître, analyser et décrire le moi, ses replis mystérieux, ses forces latentes, ses germes féconds, ses sourdes activités ? Les psychologies, les philosophies du passé l'ont tenté en vain. Leurs travaux n'ont fait qu'effleurer la surface de l'être conscient. Ses couches internes et profondes sont restées obscures, inaccessibles, jusqu'au jour où les expériences de l'hypnotisme, du spiritisme, de la rénovation de la mémoire, y ont enfin projeté quelque lumière.

Et alors, on a pu voir qu'en nous se reflète, se répercute tout l'univers, dans sa double immensité d'espace et de temps. Nous disons d'espace, car l'âme, dans ses libres et pleines manifestations, ne connaît pas les distances. Nous disons de temps, parce que tout un passé sommeille en elle et que l'avenir y repose à l'état d'embryon.

Les anciennes écoles admettaient l'unité et la continuité du moi, la permanence, l'identité parfaite de la personnalité humaine et sa survivance. Leurs études étaient basées sur le sens intime, sur ce que l'on appelle de nos jours l'introspection.

La nouvelle psychologie expérimentale considère la personnalité comme un agrégat, un composé, une «colonie». Pour elle, l'unité de l'être n'est qu'apparente et peut se décomposer. Le moi est une coordination passagère, a dit Th. Ribot1. Ces affirmations reposent sur des faits d'expérience qu'on ne saurait négliger, tels que : vie intellectuelle inconsciente, altérations de la personnalité, etc..

Comment rapprocher et concilier des théories aussi dissemblables et cependant basées toutes deux sur la science d'observation ? D'une façon bien simple. Par l'observation elle-même, plus attentive, plus rigoureuse. Myers l'a dit en ces termes2 :

«Une recherche plus profonde, plus hardie, dans la direction même que les psychologues (matérialistes) préconisent, montre qu'ils se sont trompés en affirmant que l'analyse ne prouvait l'existence d'aucune faculté au-delà de celles que la vie terrestre, telle qu'ils la conçoivent, est capable de produire, et le milieu terrestre, d'utiliser. Car, en réalité, l'analyse révèle les traces d'une faculté que la vie matérielle ou planétaire n'aurait jamais pu engendrer, et dont les manifestations impliquent et font nécessairement supposer l'existence d'un monde spirituel.

D'un autre côté, et en faveur des partisans de l'unité du moi, on peut dire que les données nouvelles sont de nature à fournir à leurs prétentions une base beaucoup plus solide et une preuve présomptive dépassant en force toutes celles qu'ils auraient jamais pu imaginer, la preuve notamment que le moi peut survivre, et survit réellement, non seulement aux désintégrations secondaires qui l'affectent au cours de sa vie terrestre, mais encore à la désintégration ultime qui résulte de la mort corporelle. Le «moi conscient» de chacun de nous est loin de comprendre la totalité de notre conscience et de nos facultés. Il existe une conscience plus vaste, des facultés plus profondes, dont la plupart restent virtuelles en ce qui concerne la vie terrestre, dont la conscience et les facultés de la vie terrestre ne se sont dégagées qu'à la suite d'une sélection et qui s'affirment de nouveau dans toute leur plénitude après la mort.

J'ai été amené à cette conclusion, qui a revêtu pour moi sa forme actuelle, il y a quatorze ans environ, lentement, à la suite d'une longue série de réflexions basées sur des preuves dont le nombre allait en augmentant progressivement.»

Dans certains cas, on voit apparaître en nous un être tout différent de l'être normal, possédant non seulement des connaissances et des aptitudes plus étendues que celles de la personnalité ordinaire, mais, en outre, doué de modes de perception plus puissants et plus variés. Parfois même, dans les phénomènes de «personnalité seconde», le caractère se modifie et diffère à tel point du caractère habituel, que des observateurs se sont crus en présence d'un autre individu.

Il faut bien faire la distinction entre ces cas et les phénomènes d'incorporations des défunts. Les médiums, à l'état de dégagement somnambulique, prêtent parfois leur organisme resté libre à des entités de l'Au-delà, à des Esprits désincarnés qui s'en servent pour communiquer avec les hommes. Mais alors, les noms, les détails, les preuves d'identités fournies par les manifestants ne permettent aucune confusion. L'individualité envahissante diffère radicalement de celle du sujet. Les cas de G. Pelham3, de Robert Hyslop, de Fourcade, etc., nous démontrent que les substitutions d'Esprits ne sauraient être confondues avec les cas de double personnalité.

Cependant l'erreur était possible ; en effet, de même que les incorporations d'Esprits, l'intervention des personnalités secondaires est précédée d'un court sommeil. Celles-ci surgissent, le plus souvent, dans un accès de somnambulisme ou, même, à la suite d'une émotion. La période de manifestation, d'abord de faible durée, se prolonge peu à peu, se répète et se précise jusqu'à acquérir et constituer un enchaînement de souvenirs particuliers qui se distinguent de l'ensemble des souvenirs enregistrés dans la conscience normale. Ce phénomène peut être facilité ou provoqué par la suggestion hypnotique. Il est même probable que dans les cas spontanés, où n'intervient aucune volonté humaine, le phénomène est dû à la suggestion d'agents invisibles, guides et protecteurs du sujet ; ils agissent alors, comme nous le verrons, dans un but curatif, thérapeutique.

Dans le cas célèbre de Félida, étudié par le docteur Azam4, les deux états de conscience ou variations de la personnalité sont nettement tranchés :

«Presque chaque jour, sans cause connue ou sous l'empire d'une émotion, elle est prise de ce qu'elle appelle sa crise ; en fait, elle rentre dans son deuxième état ; elle est assise, un ouvrage de couture à la main ; tout à coup, sans que rien puisse le faire prévoir, et après une douleur aux tempes plus violente que d'habitude, sa tête tombe sur sa poitrine, ses mains demeurent inactives et descendent inertes le long de son corps ; elle dort ou paraît dormir, mais d'un sommeil spécial, car aucun bruit, aucune excitation, pincement ou piqûre ne sauraient l'éveiller ; de plus cette sorte de sommeil est absolument subit. Il dure deux ou trois minutes ; autrefois il était beaucoup plus long.

Après ce temps, Félida s'éveille ; mais elle n'est plus dans l'état intellectuel où elle était quand elle s'est endormie. Tout paraît différent. Elle lève la tête et, ouvrant les yeux, salue en souriant les personnes qui l'entourent, comme si elle venait d'arriver ; la physionomie, triste et silencieuse auparavant, s'éclaire et respire la gaieté ; sa parole est brève, et elle continue, en fredonnant, l'ouvrage d'aiguille que, dans l'état précédent, elle avait commencé ; elle se lève, sa marche est agile, et elle se plaint à peine des mille douleurs qui, quelques instants auparavant, la faisaient souffrir ; elle vaque aux soins ordinaires du ménage, circule dans la ville, etc.. Son caractère est complètement changé : de triste elle est devenue gaie ; son imagination est plus exaltée ; pour le moindre motif elle s'émeut en tristesse ou en joie ; d'indifférente, elle est devenue sensible à l'excès.

Dans cet état, elle se souvient parfaitement de tout ce qui s'est passé dans les autres états semblables qui ont précédé, et aussi pendant sa vie normale. Dans cette vie comme dans l'autre, ses facultés intellectuelles et morales, bien que différentes, sont incontestablement entières : aucune idée délirante, aucune fausse appréciation, aucune hallucination. Félida est autre, voilà tout. On peut même dire que, dans ce deuxième état, cette condition seconde, comme l'appelle M. Azam, toutes ses facultés paraissent plus développées et plus complètes.

Cette deuxième vie, où la douleur physique ne se fait pas sentir, est de beaucoup supérieure à l'autre ; elle l'est surtout par ce fait considérable que, pendant sa durée, Félida se souvient non seulement de ce qui s'est passé pendant les accès précédents, mais aussi de toute sa vie normale, tandis que, pendant sa vie normale, elle n'a aucun souvenir de ce qui s'est passé pendant ses accès.»

On voit qu'il n'y a pas là en jeu plusieurs personnalités, mais simplement plusieurs états de la même conscience. La relation persiste entre ces divers aspects de l'être psychique. Du moins, l'état second, le plus complet, n'ignore rien de ce qu'a fait le premier ; tandis que celui-ci ne connaît l'autre que par ouï-dire. Le mode d'existence n° 2 traite le n° 1 avec quelque dédain. Félida, dans l'état second, parle de la «fille bête» de la même façon dont nous parlerions nous-mêmes de l'enfant gauche, du bébé malhabile que nous fûmes jadis.

Dans le cas de Louis Vivé5, nous nous trouvons en présence d'un phénomène de «régression de la mémoire». Le sujet, sous l'influence de la suggestion hypnotique, revit toutes les scènes de sa vie avec, dit Myers, «la rapidité et la facilité d'images cinématographiques. Non seulement les états mentaux passés et oubliés reviennent à la mémoire en même temps que les impressions physiques de ces variations, mais lorsqu'un état mental passé et oublié est suggéré au patient comme étant son état actuel, il éprouve aussitôt les impressions physiques correspondantes.»

Nous verrons plus loin que, grâce à des expériences du même ordre, on a pu reconstituer les existences antérieures de certains sujets avec la même netteté, la même puissance d'impressions et de sensations. Et par là, nous serons amenés à reconnaître que la science profonde de l'être nous réserve bien des surprises.

En Mary Reynolds6, on assiste à une transformation complète du caractère, qui présente trois phases distinctes : l'une, marquée par l'insouciance ; l'autre, par des dispositions à la tristesse, avec une tendance à se fusionner en un troisième état, supérieur aux deux précédents.

Nous ne pouvons passer sous silence les observations de même nature faites par le docteur Morton-Prince sur Miss Beauchamp7. Celle-ci présente plusieurs aspects d'une même personnalité, qui se sont révélés successivement et ont été dénommés au fur et à mesure de leur apparition, B1, B2, B4, B5.

B1, c'est Miss Beauchamp à l'état normal, personne sérieuse, réservée, scrupuleuse à l'excès. B2, c'est la même en état d'hypnose, avec plus d'aisance, d'abandon, et une mémoire plus étendue. B4, qui se révéla plus tard, se distingue des précédentes par un état complet d'unité harmonieuse et d'équilibre normal, mais à qui fait défaut la mémoire des six dernières années, par suite d'une émotion violente. Enfin B5, qui réunit comme dans une synthèse, la mémoire des états déjà décrits.

L'originalité de ce cas consiste dans l'intervention, au milieu de ces divers aspects de la personnalité de Miss Beauchamp, d'une individualité qui lui est, nous semble-t-il, complètement étrangère. Il s'agit de B3 qui dit se nommer Sally, être espiègle, taquin, voire facétieux, dominant Miss Beauchamp, lui faisant des malices répétées, une vie très difficile. Sally s'adapte, physiologiquement, assez mal aux organes ; elle semble étrangère à leur vie propre.

Cette mystérieuse Sally ne serait, selon nous, qu'une entité de l'espace réussissant à se substituer dans le sommeil à la personne normale et à disposer, pour un laps de temps, d'un organisme dont l'état d'équilibre est momentanément troublé. Ce phénomène appartient à la catégorie des incorporations d'esprits, que nous avons traitée spécialement dans notre ouvrage8.

Enfin F. Myers, dans son oeuvre magistrale9, relate d'après le docteur Mason, un cas de «multiple personnalité», que nous croyons devoir reproduire :

«Alma Z... était une jeune fille très saine et très intelligente, d'un caractère solide et attirant, d'un esprit d'initiative dans tout ce qu'elle entreprenait, étude, sport, relations sociales. A la suite de surmenage intellectuel et d'une indisposition négligée, sa santé se trouva fortement compromise, et, après deux années de grandes souffrances, une seconde personnalité fit brusquement son apparition. Dans un langage mi-enfantin, mi-indien, cette personnalité s'annonçait comme étant le n° 2, venue pour soulager les souffrances du n° 1. Or, l'état du n° 1 était en ce moment-là des plus déplorables : douleurs, débilité, syncopes fréquentes, insomnies, stomatite mercurielle d'origine médicamenteuse, qui rendait l'alimentation impossible. Le n° 2 était gai et tendre, d'une conversation fine et spirituelle, gardant toute sa connaissance, se nourrissant bien et abondamment, pour le plus grand profit, disait-elle, du n° 1. La conversation, toute raffinée et intéressante qu'elle fût, ne faisait rien soupçonner des connaissances acquises par la première personnalité. Elle manifestait une intelligence supra normale relativement aux événements qui se passaient dans le voisinage. C'est à cette époque-là que l'auteur a commencé à observer ce cas, et je ne l'ai pas perdu de vue pendant six années consécutives. Quatre ans après l'apparition de la seconde personnalité, il en apparut une troisième, qui s'annonça sous le nom de "gamin". Elle était complètement distincte et différente des deux autres et avait pris la place du n° 2, qu'elle garda pendant quatre ans.

Toutes ces personnalités, quoique absolument distinctes et caractéristiques, étaient délicieuses chacune dans son genre, et le n° 2, en particulier, a été et est encore la joie de ses amis, toutes les fois qu'elle apparaît et qu'il leur est donné de l'approcher ; et elle apparaît toujours aux moments de fatigue excessive, d'excitation mentale, de prostration ; elle survient alors et persiste parfois pendant quelques jours. Le moi original affirme toujours sa supériorité, les autres n'étant là que dans son intérêt et pour son avantage. Le n° 1 n'a aucune connaissance personnelle des deux autres personnalités, elle les connaît cependant bien, le n° 2 surtout, par les récits des autres et par les lettres qu'elle reçoit souvent d'elles ; et le n° 1 admire les messages fins, spirituels et souvent instructifs que lui apportent ces lettres ou les récits des amis.»

Nous nous bornons à citer ces seuls faits, afin de ne pas nous étendre démesurément. Il en existe beaucoup d'autres de même nature, dont le lecteur pourra trouver la description dans les ouvrages spéciaux10.

Dans leur ensemble, ces phénomènes démontrent une chose : c'est qu'au-dessous du niveau de la conscience normale, en dehors de la personnalité ordinaire, il existe en nous des plans de conscience, des couches ou zones disposées de telle sorte que, dans certaines conditions, on peut constater des alternances entre ces plans. On voit alors émerger à la surface et se manifester, pendant un temps donné, des attributs, des facultés qui appartiennent à la conscience profonde ; puis ils disparaissent bientôt, pour reprendre leur rang et replonger dans l'ombre et l'inaction.

Notre moi ordinaire, superficiel, limité par l'organisme, ne semble être qu'un fragment de notre moi total. En celui-ci est enregistré tout un monde de faits, de connaissances, de souvenirs se rattachant au long passé de l'âme. Pendant la vie normale, toutes ces réserves restent cachées, comme ensevelies sous l'enveloppe matérielle. Elles reparaissent dans l'état somnambulique. L'appel de la volonté, la suggestion les mobilise. Elles entrent en action et produisent ces phénomènes étranges que la physiologie officielle constate sans pouvoir les expliquer.

Tous les cas de dédoublement de la personnalité, tous les phénomènes de clairvoyance, télépathie, prémonition, entrée en scène de sens nouveaux et de facultés inconnues, tout cet ensemble de faits dont le nombre s'accroît et constitue déjà un formidable faisceau, doit être attribué à l'intervention des forces et des ressources de la personnalité cachée.

L'état somnambulique, qui en permet la manifestation, n'est pas un état «régressif» ou morbide, comme l'ont cru certains observateurs, mais plutôt un état supérieur et, suivant l'expression de Myers, «évolutif». Il est vrai que l'état de dégénérescence et d'affaiblissement organique facilite chez quelques sujets l'émergence des couches profondes du moi. C'est ce qu'on a désigné sous le nom d'hystérie. D'une façon générale, il faut le remarquer, tout ce qui déprime le corps physique favorise le dégagement, la sortie de l'esprit. La lucidité des mourants nous fournirait sur ce point de nombreux témoignages. Mais, pour juger sainement ces faits, il convient de les considérer surtout au point de vue psychologique ; toute leur importance est là.

La science matérialiste a vu dans ces phénomènes ce qu'elle appelle des «désintégrations», c'est-à-dire des altérations et des dissociations de la personnalité. Le sectionnement de la conscience paraît quelquefois si tranché, et les types qui surgissent, tellement différents du type normal, qu'on a pu se croire en présence de plusieurs consciences autonomes, alternant chez un même sujet. Nous croyons, avec Myers, qu'il n'en est rien. Il y a là simplement une variété d'états successifs, coïncidant avec la permanence du moi. La conscience est une, mais se manifeste diversement : d'une façon restreinte, dans la vie normale, tant qu'elle est limitée dans le champ de l'organisme ; plus pleine, plus étendue dans les états de dégagement ; et enfin, d'une manière totale, entière à la mort, après la séparation définitive, comme le démontrent les manifestations et les enseignements des Esprits. La scission n'est donc qu'apparente. La seule différence à faire entre les états variés de la conscience est une différence de degrés. Ces degrés peuvent être nombreux. La marge paraît considérable, par exemple, entre l'état d'incorporation et l'extériorisation complète. La personnalité n'en reste pas moins identique à travers l'enchaînement des faits de conscience qu'un lien continu relie entre eux, depuis les modifications les plus simples de l'état normal, jusqu'aux cas comportant une transformation de l'intelligence et du caractère : depuis la simple idée fixe, les rêves et les songes, jusqu'à la projection de la personnalité dans le monde spirituel, dans cet Au-delà où l'âme recouvre la plénitude de ses perceptions et de ses pouvoirs.

Déjà nous voyons, au cours de l'existence terrestre, de l'enfance à la vieillesse, le moi se modifier sans cesse ; l'âme traverse une succession d'états ; elle est dans un devenir incessant ; pourtant, au milieu de ces phases diverses, son contrôle sur l'organisme ne varie pas. La physiologie a fait ressortir cette savante et harmonieuse coordination de toutes les parties de l'être, ces lois de la vie organique et du mécanisme nerveux qui ne peuvent s'expliquer sans la présence d'une unité centrale. Cette unité souveraine est la source et la conservatrice de la vie ; elle en relie tous les éléments, tous les aspects.

C'est par une conséquence non moins fâcheuse des théories matérialistes que les «psychologues» de l'école officielle en sont arrivés à considérer le génie comme une névrose, alors qu'il peut être l'utilisation, dans une plus large mesure, des pouvoirs psychiques cachés dans l'homme.

Myers, parlant de la catégorie des «hystériques qui mènent le monde», émet l'opinion que «l'inspiration du génie ne serait que l'émergence, dans le domaine des idées conscientes, d'autres idées à l'élaboration desquelles la conscience n'a pas pris part, mais qui se sont formées toutes seules, pour ainsi dire, indépendamment de la volonté, dans les régions profondes de notre être11

En général, ceux que l'on qualifie si légèrement de «dégénérés» sont souvent des «progénérés». Et chez eux, sensitifs, hystériques ou névrosés, les perturbations de l'organisme physique, les troubles nerveux peuvent bien être un procédé d'évolution que toute l'humanité devra subir pour atteindre un degré plus intense de la vie planétaire. Des troubles accompagnent toujours le développement de l'organisme humain jusqu'à son épanouissement complet, de même qu'ils précèdent l'apparition à la lumière de chaque être nouveau sur la terre. Dans nos efforts douloureux vers plus de vie, les valeurs morbides se transmuent en forces morales. Nos besoins sont des instincts en fusion, qui se concrètent en sens nouveaux pour acquérir plus de pouvoir et de connaissance.

Même dans l'état ordinaire, l'état de veille, des émergences, des impulsions du moi profond peuvent remonter jusqu'aux couches extérieures de la personnalité, apportant des intuitions, des perceptions, de brusques éclairs sur le passé et l'avenir de l'être, qui dénotent des facultés très étendues n'appartenant pas au moi normal.

A cette catégorie de phénomènes il faut rattacher la plupart des cas d'écriture automatique. Nous disons la plupart, car il en est d'autres, nous le savons, qui ont pour cause des agents extérieurs et invisibles.

Il est en nous comme un réservoir d'eaux souterraines, d'où jaillit à certaines heures et monte à la surface un courant rapide et bouillonnant. Les prophètes, les martyrs de toutes les religions, les missionnaires, les inspirés, les enthousiastes de tout genre et de toute école, ont connu ces sourdes et puissantes impulsions. Elles nous ont procuré les plus grandes oeuvres qui aient révélé aux hommes l'existence d'un monde supérieur.


1 Th. Ribot, les Maladies de la personnalité, pages 170-172.


2 F. W. Myers, la Personnalité humaine ; sa survivance, ses manifestations supranormales, page 19. Cette oeuvre représente l'un des plus magnifiques efforts qui aient été tentés par la pensée pour résoudre les problèmes de l'être.


3 Voir notre ouvrage, Dans l'Invisible, chapitre XIX, passim.


4 Docteur Binet, Altérations de la personnalité. F. Alcan, Paris pages 6-20.


5 F. W. Myers, la Personnalité humaine, etc. page 60. Voir aussi Camuset, Annales médico-psychologiques, 1882, page 15.


6 W. James, Principles of psychology.


7 Docteur Morton-Prince. Voir The Association of a Personnality, ainsi que l'ouvrage du colonel A. de Rochas, les Vies successives, Chacornac, edit., Paris 1911, pages 398-402.


8 Voir Dans l'Invisible ; Spiritisme et Médiumnité, chapitre XIX.


9 F. Myers, la Personnalité humaine, etc., pages 61, 62.


10 Voir entre autres : docteurs Bouru et Burot, les Changements de la personnalité, et De la suggestion mentale. Bibl. scientif. contemporaine, Paris, 1887. - Binet, les Altérations de la personnalité. - Berjon, la Grande Hystérie chez l'homme. - Docteur Osgood Mason, Double Personnalité ; ses rapports avec l'hypnotisme et la lucidité.
Voir encore Proceedings S. P. R., le cas de Miss Beauchamp, étudié par Morton, le cas d'Annel Bourne, décrit par le docteur Hodgson, et celui de Mollie Faucher, observé par le juge américain Cain Dailey.


11 F. Myers, la Personnalité humaine, page 69.
Nous croyons toutefois que, dans l'examen de ce problème du génie, Myers n'a pas tenu un compte suffisant des acquis antérieurs, fruit des existences accumulées, pas plus que de l'inspiration médianimique, très caractérisée chez certaines intelligences géniales, comme nous l'avons vu d'ailleurs (Dans l'Invisible, chapitre dernier).