TROISIEME PARTIE


CHAPITRE PREMIER
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PREUVES DE L'IMMORTALITE DE L'AME PAR L'EXPERIENCE.

A cette question : l'âme existe-t-elle ? la science dit peut-être ; les phénomènes du magnétisme, de l'hypnotisme, de l'anesthésie répondent oui et, en cela, confirment toutes les déductions de la philosophie et les affirmations de la conscience.

Contraints par l'évidence des faits à admettre une force directrice dans l'homme, un grand nombre de matérialistes se réfugient dans une négation dernière en prétendant que cette énergie s'éteint avec le corps, dont elle n'était qu'une émanation. Comme toutes les forces physiques et chimiques, disent-ils, l'âme, cette résultante vitale, cesse avec la cause qui l'avait produite ; l'homme étant mort, l'âme est anéantie.

Cela est-il possible ? ne sommes-nous qu'un vulgaire amas de molécules sans solidarité les unes avec les autres ? Notre individualité aimante doit-elle disparaître à tout jamais et de ce qui a été un homme ne reste-t-il vraiment qu'un cadavre, destiné à se désagréger lentement dans la froide nuit du tombeau ?

Devant cette question grandiose de l'immortalité de l'être pensant, devant ce redoutable problème qui a passionné les plus vastes intelligences, en face de cet inconnu plein de mystère, nous n'hésitons pas à répondre d'une manière affirmative.

Nous avons des preuves certaines de l'existence de l'âme après la mort, nous pouvons irréfutablement établir que nous sommes dans le vrai, et cela au moyen d'expériences simples, pratiques, à la portée de tout le monde et pour l'explication desquelles il n'est pas besoin d'un génie transcendant. L'ignorant peut, à l'égal du savant, se créer une conviction, et ce résultat est dû à une science nouvelle : le spiritisme.

Lorsque l'on songe à la gravité qui s'attache à la solution de ce problème de la survivance du moi et aux conséquences qui en résultent, on ne saurait trop insister sur les phénomènes qui nous révèlent d'une manière probante l'existence de l'âme après la mort. La vie sociale, les lois qui la dirigent sont basées sur un idéal moral qui ne peut s'appuyer que sur la croyance en Dieu et à une vie future.

Depuis de longs siècles, en effet, les nations, se reposant sur les principes de leurs religions, qui leur semblaient inébranlables, ont accepté les lois édictées par leurs législateurs. Mais avec les temps modernes, avec la libre discussion, des doutes se sont élevés sur la légitimité de ces lois, le droit divin qui faisait un homme possesseur d'un peuple a sombré dans la tourmente de 93, et ce résultat est dû, autant en politique qu'en philosophie, au discrédit dans lequel les idées religieuses sont tombées. Il y avait eu alliance intime entre la royauté et le clergé ; lorsque les encyclopédistes ont sapé les dogmes, du même coup le trône a été déraciné.

La foi aveugle, imposée par les prêtres, a produit des erreurs et des crimes sans nombre contre lesquels s'est révolté l'esprit humain, affranchi de ses préjugés. Personne n'envisage sans horreur les massacres des Vaudois, des Albigeois, des Camisards. Les cris des victimes de la Saint-Barthélemy, des Savonarole et des Jean Huss retentissent douloureusement au fond des coeurs, et les supplices de l'Inquisition, ses autodafés monstrueux, font une tache sanglante sur l'histoire du catholicisme. Les fanatiques qui condamnèrent Galilée n'ont rien connu des merveilles de l'univers ; leur foi étroite et intolérante ne pouvait engendrer que l'ignorance et la crédulité.

Les chrétiens du moyen âge se faisaient une idée mesquine de notre monde, qu'ils ne connaissaient qu'en partie. Ils le considéraient comme la base de l'Univers ; ils ne voyaient dans le ciel que le séjour de Dieu, et dans les étoiles que des points lumineux. Ils avaient ainsi établi une hiérarchie grossière, en plaçant l'enfer au centre de la terre et le paradis au-dessus du soleil, de sorte que nous étions le pivot de toute la création et qu'en dehors de notre mondicule rien n'existait.

Mais l'astronomie est venue renverser cette fabuleuse conception. Nos connaissances se sont agrandies, l'infini a découvert ses espaces à nos yeux ravis. Les étoiles ne sont plus des clous brillants placés par la main du créateur pour éclairer nos nuits, ce sont des mondes immenses roulant dans le vide, des soleils radieux entraînant dans leur course à travers l'infini un cortège de planètes. L'immensité nous est apparue avec ses profondeurs insondables ; nous savons que notre terre n'est qu'une infime partie de cette poussière de mondes qui tourbillonnent dans l'éther, de sorte que les croyances basées sur notre orgueil se sont évanouies au souffle de la réalité.

L'Univers tout entier a étalé devant nous les splendeurs de son harmonie éternelle, l'inaltérable symétrie de ses changements, son immuabilité, son immensité ! Devant des spectacles si nouveaux, les hommes ont reconnu l'inanité de leurs premières croyances, brûlant ce qu'ils avaient adoré, et poussant le dédain du passé jusqu'à ses dernières limites, ils ont repoussé les notions de Dieu et d'âme, comme des entités surannées sans aucune valeur objective. C'est ainsi que s'est établi le courant matérialiste né, au dix-huitième siècle, de la lutte contre les abus.

L'homme de notre époque ne veut plus croire, il se défie même de la raison, il se réfugie dans l'expérience sensible, comme étant seule capable de lui donner la vérité ; c'est pourquoi il exige des preuves positives, des phénomènes qui étaient jusqu'alors le domaine propre de la philosophie. Ces considérations nous expliquent le peu de succès qu'obtinrent des écrivains éminents tels que Ballanche, Constant Savy, Esquiros, Charles Bonnet, Jean Reynaud, qui ont prêché l'immortalité de l'âme.

De nos jours, un philosophe doublé d'un savant, M. Camille Flammarion, suit la glorieuse trace de ces grands hommes. Ce vulgarisateur de génie sème à pleines mains les idées de la palingénésie humaine, et le succès répond à ses nobles efforts, mais il doit sa vogue plus encore à un style splendide qu'aux idées qu'il émet. L'esprit humain, ballotté depuis des siècles entre les systèmes les plus divers, est las des spéculations métaphysiques et se cramponne à l'observation matérielle comme à une planche de salut. De là le grand crédit des hommes de science à l'heure actuelle. Ils forment à leur tour un corps sacro-saint, dont les jugements sont sans appel. Ils ont toute la morgue des anciens collèges sacerdotaux, sans en avoir les rares vertus, et de part et d'autre l'intolérance est égale.

Le gros de la nation, qui ne saisit que l'extérieur des choses, voyant ses connaissances anciennes détruites par les découvertes modernes, croit aveuglément ses nouveaux conducteurs et se jette, à leur suite, dans le matérialisme le plus absolu. On ne raisonne plus, on va tête baissée jusqu'aux dernières conséquences, et parce qu'il est prouvé que le cerveau est le siège de la pensée, l'âme n'existe pas, parce que l'on ne croit plus à Jéhovah planant sur un nuage. Dieu n'est qu'un mythe fabuleux.

C'est contre ces tendances que le spiritisme vient réagir. Notre siècle étant celui de la démonstration matérielle, il apporte à l'observateur impartial des faits bien constatés. Laissant de côté les théories nuageuses, le spiritisme se dégage des dogmes et des superstitions, il s'appuie sur la base inébranlable de l'observation scientifique, et les positivistes eux-mêmes peuvent se déclarer satisfaits des preuves que nous fournissons à la discussion, car elles nous sont fournies par les plus grands noms dont s'honore la science contemporaine.

Depuis une cinquantaine d'années que cette doctrine a fait sa réapparition dans le monde, elle a été soumise à des critiques passionnées, à des attaques souvent déloyales. Ses adeptes ont été bafoués, ridiculisés, anathématisés, on a voulu en faire les derniers représentants de la sorcellerie, et cependant, malgré ces persécutions, ils sont à l'heure actuelle plus nombreux et plus puissants que jamais ; ils se recrutent non pas dans la masse ignorante, mais parmi les hommes éclairés : écrivains, artistes, savants, etc.

Le spiritisme se répand dans le monde avec une rapidité inouïe : aucune philosophie, aucune religion n'a pris un développement aussi considérable dans un temps si court.

Aujourd'hui, plus de quarante publications, mensuelles ou hebdomadaires, portent au loin le résultat des recherches entreprises dans toutes les parties du monde, et ses partisans, groupés en société, comptent plusieurs millions d'adhérents sur la surface entière du globe.

A quoi est due cette progression formidable ? Tout bonnement à la simplicité des enseignements spirites basés sur la justice de Dieu, et surtout aux moyens pratiques de se convaincre de l'immortalité de l'âme, qui sont donnés à tous par la nouvelle science.

Il y a deux phases distinctes dans l'histoire du spiritisme, qu'il est utile de signaler. La première comprend la période qui s'est écoulée depuis l'année 1846, moment de son apparition, jusqu'à l'année 1869, marquée par la mort d'un écrivain célèbre, Allan Kardec. Pendant ce laps de temps, le phénomène spirite fut étudié de toutes parts, les expériences se multiplièrent et les observateurs sérieux découvrirent que les faits nouveaux étaient produits par des intelligences vivant d'une existence différente de la nôtre. De cette certitude naquit le désir d'étudier ces manifestations si curieuses, et, avec les documents recueillis de tous côtés, Allan Kardec composa le Livre des Esprits et plus tard celui des Médiums, qui sont le vade-mecum indispensable de toute personne désireuse de s'initier à ces pratiques nouvelles. Le grand philosophe qui les écrivit imprima un élan formidable à ces recherches, et l'on peut dire que c'est grâce à son dévouement infatigable que l'on doit la propagation si rapide de ces consolantes vérités.

La seconde période, qui s'étend de l'année 1869 jusqu'à nos jours, est caractérisée par le mouvement scientifique qui s'est tourné vers les manifestations des Esprits. L'Angleterre, l'Allemagne, l'Amérique semblent marcher de concert dans ces investigations. Déjà les savants les plus autorisés de ces pays proclament hautement la validité des phénomènes spirites, et avant peu le monde entier s'associera à ces nobles travaux qui ont pour but de nous arracher aux dégradantes croyances du matérialisme. Nous exposerons tout à l'heure les documents sur lesquels nous basons notre affirmation.

Le temps est passé où l'on pouvait, a priori, repousser nos idées sans leur faire l'honneur de les discuter ; aujourd'hui le Spiritisme s'impose à l'attention publique. Il faut que les absurdes préjugés qui l'ont accueilli à sa naissance disparaissent devant la réalité. Il est nécessaire qu'on sache que, loin d'être des visionnaires, des cerveaux creux, les spirites sont des observateurs froids et méthodiques ne relatant que les faits bien constatés.

Il faut que l'on soit convaincu que plusieurs millions d'hommes ne sont pas les victimes d'une folie contagieuse, que s'ils croient, c'est que leur doctrine offre les plus nobles enseignements, qu'elle ouvre à l'esprit les plus vastes horizons. Il faut enfin qu'on laisse de côté ces faciles plaisanteries employées depuis vingt-cinq ans dans les petits journaux et qui ne font même plus rire ceux qui les éditent. La science nouvelle que nous enseignons ne consiste pas seulement dans le mouvement d'une table, car il y a aussi loin de ces modestes essais à leurs conséquences que de la pomme de Newton à la gravitation universelle.

Nous convions les hommes de bonne foi à faire des recherches sérieuses, nous les engageons à méditer les enseignements de notre philosophie et ils seront convaincus que le surnaturel n'intervient jamais dans nos explications.

Le spiritisme repousse de toutes ses forces le miracle. Il fait de Dieu l'idéal de la justice et de la science ; il dit que le créateur du monde, ayant établi des lois qui sont l'expression de sa pensée, ne peut y déroger, car elles sont l'oeuvre de la suprême raison, et toute infraction à ces lois est impossible. Les faits spirites peuvent tous, sinon s'expliquer, du moins se comprendre avec les données de la science actuelle, c'est ce que nous démontrerons à la fin de cet ouvrage. La partie spirituelle de l'homme a été négligée par les savants, leurs travaux n'ont porté que sur le corps et voilà qu'aujourd'hui les Esprits font invasion dans la science qui les avait dédaignés.

HISTORIQUE.

Racontons brièvement comment les faits se sont produits.

Des coups, dont personne ne put deviner la cause, se firent entendre pour la première fois en 1846 chez un nommé Veckmann, habitant la maison d'un petit village appelé Hydesville, non loin d'Arcadia, dans l'Etat de New-York.

Rien ne fut négligé pour découvrir l'auteur de ces bruits mystérieux, mais on n'y put parvenir. Une fois aussi, pendant la nuit, la famille fut éveillée par les cris de la plus jeune des filles, âgée de huit ans, qui assura avoir senti quelque chose comme une main qui avait parcouru le lit et avait enfin passé sur sa figure, chose qui eut lieu dans plusieurs autres endroits où ces coups se firent entendre.

Dès ce moment, rien de plus ne se manifesta pendant six mois, époque à laquelle cette famille quitta la maison, qui fut alors habitée par un méthodiste, M. John Fox, et sa famille, composée de sa femme et de ses deux filles. Pendant trois mois il y fut tranquille, puis les coups recommencèrent de plus belle.

D'abord c'étaient des bruits très légers, comme si quelqu'un frappait sur le parquet d'une des chambres à coucher, et à chaque fois une vibration se faisait sentir sur le parquet ; on la percevait même étant couché, et des personnes qui l'ont éprouvée la comparent à l'action produite par la décharge d'une batterie électrique. Les coups se faisaient entendre sans discontinuer, il n'y avait plus moyen de dormir dans la maison ; toute la nuit ces bruits légers, vibrants frappaient doucement, mais sans relâche. Fatiguée, inquiète, toujours aux aguets, la famille se décida enfin à appeler les voisins pour l'aider à trouver le mot de l'énigme ; dès ce moment les coups mystérieux appelèrent l'attention de tout le pays.

On mit des groupes de six ou huit individus dans la maison, ou bien on en sortit, tout le monde écoutant dehors, mais l'agent invisible frappait toujours. Le 31 mars 1845, Mme Fox et ses filles, n'ayant pu dormir pendant la nuit précédente, et harassées de fatigue, se couchèrent de bonne heure, dans la même chambre, espérant ainsi échapper aux manifestations qui se produisaient ordinairement au milieu de la nuit. M. Fox était absent. Mais bientôt les coups recommencèrent, et les deux jeunes filles, réveillées par ce vacarme, se mirent à les imiter, en faisant claquer leurs doigts. A leur grand étonnement les coups répondirent à chaque claquement ; alors la plus jeune des filles, miss Kate, voulut vérifier ce fait surprenant ; elle fit un claquement, on entendit un coup, deux, trois, etc., et toujours l'être ou l'agent invisible rendait le même nombre de coups. Sa soeur dit en badinant : «Maintenant, faites comme moi, comptez un, deux, trois, quatre, etc.», en frappant chaque fois dans sa main le nombre indiqué. Les coups se suivirent avec la même précision, mais ce signe d'intelligence alarmant la jeune fille, elle cessa bientôt l'expérience.

Mme Fox dit alors : «Comptez dix» et sur-le-champ dix coups se firent entendre ; elle ajouta : «Voulez-vous me dire l'âge de ma fille Catherine ?» Et les coups indiquèrent précisément le nombre d'années qu'avait cet enfant. Mme Fox demanda ensuite si c'était un être humain qui était l'auteur de ces coups : point de réponse. Puis elle dit : «Si vous êtes un esprit, je vous prie de frapper deux coups.» Immédiatement ils se firent entendre. Elle ajouta : «Si vous êtes un esprit auquel on a fait du mal, répondez-moi de la même façon.» Et, les coups furent encore entendus.

Telle fut la première conversation qui eut lieu dans les temps modernes et que l'on ait constatée, entre les êtres de l'autre monde et celui-ci. De cette manière Mme Fox parvint à savoir que l'esprit qui lui répondait était celui d'un homme qui avait été assassiné dans la maison qu'elle habitait, plusieurs années auparavant, qu'il se nommait Charles Ryan, qu'il était colporteur et âgé de trente-et-un ans, lorsque la personne chez laquelle il logeait le tua pour avoir son argent.

Mme Fox dit alors à son interlocuteur invisible : «Si nous faisions venir les voisins, les coups continueraient-ils à répondre ?» Un coup se fit entendre en signe d'affirmation. Les voisins appelés ne tardèrent pas à venir, comptant rire aux dépens de la famille Fox ; mais l'exactitude d'une foule de détails ainsi donnés par coups, en réponse aux questions adressées à l'être invisible, sur les affaires particulières de chacun, convainquirent les plus incrédules. Le bruit de ces choses se répandit au loin, et bientôt arrivèrent de tous côtés des prêtres, des juges, des médecins, et une foule de citoyens.

Peu à peu la famille Fox, que les auteurs de ces coups poursuivaient de maison en maison, alla s'établir à Rochester, ville importante de l'Etat de New-York, où des milliers de personnes vinrent la visiter et cherchèrent, vainement, à découvrir s'il n'y avait pas quelque imposture en cette affaire.

Le fanatisme religieux s'émut de ces manifestations d'outre-tombe et la famille Fox fut tourmentée. Mistress Hardinge, qui s'est faite le défenseur du spiritisme en Amérique, raconte que dans les séances publiques données par les jeunes filles de Mme Fox, elles coururent les plus grands dangers. Trois fois des commissions furent nommées pour examiner le phénomène, et trois fois elles affirmèrent que la cause de ces bruits leur était inconnue. La dernière séance publique fut surtout orageuse, et sans le dévouement d'un quaker, les pauvres enfants auraient péri victimes de leur foi, déchirés par un peuple en délire.

Il est triste de songer qu'au dix-neuvième siècle on peut trouver des hommes assez arriérés pour renouveler les scènes barbares des persécutions du moyen âge. Ceci est d'autant plus regrettable, que cet exemple d'intolérance a été donné par cette Amérique qui se dit cependant la terre de toutes les libertés.

La nouvelle de cette découverte se répandit rapidement, et de toutes parts eurent lieu des manifestations spirituelles. Un nommé Isaac Post eut l'idée de réciter à haute voix l'alphabet, en invitant l'esprit à indiquer par des coups frappés, au moment où on les prononcerait, celles des lettres qui devaient composer les mots qu'il voudrait dicter. De ce jour la télégraphie spirituelle était inventée.

On se lassa bientôt d'un procédé aussi incommode, et les frappeurs indiquèrent eux-mêmes un mode nouveau de communication. Il fallait simplement se réunir autour d'une table, poser dessus les mains, et en se soulevant, la table frapperait un coup, pendant qu'on réciterait l'alphabet, sur chacune des lettres que l'Esprit voudrait donner. Ce procédé, bien que très lent, produisit d'excellents résultats, et l'on eut ainsi les tables tournantes et parlantes.

Il faut dire que la table ne se bornait pas à se lever sur un pied pour répondre aux questions qu'on lui posait ; elle s'agitait en tous sens, tournait sous les doigts des expérimentateurs, quelquefois s'élevait dans les airs, sans que l'on pût voir de force la tenant ainsi suspendue. D'autres fois les réponses étaient faites au moyen de petits coups, qu'on entendait dans l'intérieur du bois. Ces faits étranges attirèrent l'attention générale et bientôt la mode des tables tournantes envahit l'Amérique entière.

A côté des personnes légères qui passaient leur temps à interroger les Esprits sur la personne la plus amoureuse de la société, ou sur un objet perdu, de graves esprits, des savants, des penseurs, attirés par le bruit qui se faisait autour de ces phénomènes, résolurent de les étudier scientifiquement, pour mettre leurs concitoyens en garde contre ce qu'ils appelaient une folie contagieuse.

En 1856, le juge Edmonds, jurisconsulte éminent, qui jouit d'une autorité incontestée dans le Nouveau Monde, fit paraître un livre où il affirmait la réalité de ces surprenantes manifestations. Le professeur Mapes, qui enseignait la chimie à l'Académie nationale des Etats-Unis, se livra à une investigation rigoureuse qui aboutit, comme la précédente, à une constatation motivée, d'après laquelle les phénomènes étaient bien dus à l'intervention des Esprits.

Mais ce qui produisit le plus grand effet, ce fut la conversion aux idées nouvelles du célèbre Robert Hare, professeur à l'Université de Pennsylvanie, qui expérimenta scientifiquement le mouvement des tables et consigna ses recherches, en 1856, dans un volume intitulé : Experimental investigations of the spirit manifestation.

Dès lors, la bataille entre les incrédules et les croyants s'engagea à fond. Des écrivains, des savants, des orateurs, des hommes d'église se jetèrent dans la mêlée, et pour donner une idée du développement pris par la polémique, il suffit de rappeler que déjà, en 1854, une pétition signée de 15.000 noms de citoyens avait été présentée au congrès pour le prier de nommer une commission chargée d'étudier le nouveau spiritualisme (c'est le nom que l'on donne en Amérique au spiritisme).

Cette demande fut repoussée par l'assemblée, mais l'élan était donné et l'on vit surgir des sociétés qui fondèrent des journaux où se continua la guerre contre les incrédules.

Pendant que ces événements se produisaient dans le nouveau monde, la vieille Europe ne restait pas inactive. Les tables tournantes devinrent une actualité pleine d'intérêt et pendant les années 1852 et 1853 on s'occupa beaucoup en France à les faire tourner. Il n'était question dans toutes les classes de la société que de cette nouveauté ; on ne s'abordait guère sans la question sacramentelle : «Eh bien ! faites-vous tourner les tables ?» Puis, comme tout ce qui est de mode, après un moment de faveur, les tables cessèrent d'occuper l'attention qui se porta sur d'autres objets.

Cette manie de faire tourner les tables eut néanmoins un résultat important : ce fut de faire réfléchir beaucoup de personnes sur la possibilité des rapports entre morts et vivants. En lisant, on découvrit que ce que l'on appelle la croyance au surnaturel, était aussi ancienne que le monde.

L'histoire d'Urbain Grandier et des religieuses de Loudun, des trembleurs des Cévennes, des convulsionnaires jansénistes, prouvèrent que bien des faits historiques méritaient d'être éclaircis, et pour ne citer que les plus célèbres, le génie de Socrate et les voix de Jeanne d'Arc, qui l'ont conduite à sauver la France, restent encore des mystères pour les savants. En vain M. Lélut a-t-il voulu assimiler l'héroïque Lorraine à une hallucinée : pour toute réponse nous lui souhaitons une maladie semblable afin de lui éclaircir le jugement.

Le récit de la possession de Louviers, l'histoire des illuminés martinistes, des Swedenborgiens des stigmatisées du Tyrol, et, il y avait à peine 50 ans, du prêtre Gassner et de la voyante de Prévorst, conduisirent les hommes sérieux à examiner les phénomènes nouveaux. On compara l'esprit d'Hydesville à celui qui mit en révolution le presbytère de Cideville, une théorie générale sortit de l'examen de tous ces faits : elle a été exposée dans les ouvrages d'Allan Kardec.

Les mêmes colères qui avaient accompagné les manifestations spirituelles, en Amérique, se renouvelèrent en France. Les journaux, les revues scientifiques, les Académies n'eurent pas assez de sarcasmes pour la jeune doctrine. On traitait gracieusement ses partisans de fous, d'idiots, d'imposteurs. On les accusait de vouloir ramener le monde aux plus mauvais jours de la superstition du moyen âge ; on priait même les tribunaux d'empêcher cette exploitation honteuse de la crédulité publique. Les prêtres tonnèrent du haut de la chaire contre les phénomènes spirites, qu'ils prétendirent être l'oeuvre du diable ! Enfin, pour couronnement, l'archevêque de Barcelone fit brûler en place publique les oeuvres d'Allan Kardec, comme entachées de sorcellerie !

On croit rêver quand on lit de pareilles choses ; malheureusement elles ne sont que trop véridiques et témoignent combien les hommes sont encore routiniers, malgré le magnifique élan vers le progrès qu'a déterminé le mouvement scientifique moderne. Il faut une doctrine comme la nôtre, qui brille par sa simplicité et sa logique, pour ramener les esprits à ces grandes vérités qui se nomment : Dieu et l'âme. Notre philosophie sous sa forme primitive synthétise les croyances les plus élevées des penseurs, mais elle a, de plus, pour elle le FAIT qui est le roi du jour.

Il faut donc nous donner pour devoir d'écarter de nos expériences toute suspicion. Il est indispensable de nous attacher à détruire les préventions et à montrer combien les explications qu'on a données pour rendre compte des phénomènes spirites sont fausses, mesquines et incomplètes, quand on les compare aux nôtres. C'est ce qui sera facile dans les pages suivantes en examinant les objections diverses qu'on nous a opposées ; mais, auparavant, décrivons le mouvement spiritualiste qui s'est produit en Angleterre et en Allemagne, afin de faire connaître combien d'hommes de science sont des spirites convaincus.

En France, l'opinion publique est habituée à se reposer entièrement sur quelques sommités littéraires ou scientifiques, pour les jugements qu'elle porte sur les hommes et les choses, de sorte que, si ces individualités remarquables ont un intérêt quelconque à enterrer une question, la plus grande partie du public suit l'impulsion donnée et fait le silence, le vide, sur les matières en litige. C'est pour protester contre cet ostracisme que nous reproduisons les affirmations de savants de la Grande-Bretagne ; on verra combien ces hommes intègres ont peu souci du qu'en dira-t-on, et avec quelle énergique honnêteté ils proclament leurs croyances, lorsqu'elles sont solidement basées sur les faits.

Nous devons ouvrir cette revue en citant les paroles remarquables prononcées par Sir William Thompson, dans le discours d'ouverture, lu en 1871, devant l'association britannique à Edimbourg : «La science est tenue, par l'éternelle loi de l'honneur, à regarder en face et sans crainte tout problème qui peut franchement se présenter à elle.»

Ce sont là de nobles sentiments que partagent un grand nombre d'hommes de science. En tête marche William Crookes, chimiste éminent auquel on doit la découverte du thallium et qui a marqué sa place à Westminster par la démonstration d'un quatrième état de la matière qu'il nomme, d'après Faraday, matière radiante.

Pour faire comprendre la grandeur de cette découverte, écoutons le concert d'éloges qui a salué son apparition :

«Dès maintenant, les expériences du savant anglais, désormais illustre, posent des problèmes qui touchent à la nature la plus intime des choses et ouvrent à l'imagination scientifique des horizons dont elle a peine à envisager les splendeurs.»

Edmond PERRIER.

M. de Parville, dans son feuilleton scientifique, qualifie cette découverte de grandiose et annonce qu'elle va révolutionner les théories actuelles ; enfin M. Wurtz, le chimiste bien connu, se prononce ainsi dans la Revue des Deux Mondes :

«L'illustre inventeur du radiomètre pénètre dans un domaine complètement inconnu avant lui, et qui, marquant la limite des choses que l'on sait, touche à celles qu'on ignore et que l'on ne saura peut-être jamais.»

Ce chimiste illustre, ce physicien de génie, M. Crookes a soumis à l'étude les manifestations spirites, non pas avec des idées préconçues, mais avec le ferme désir de s'instruire et de n'appuyer son jugement que sur l'évidence ; il dit :

«En présence de pareils phénomènes, les pas de l'observateur doivent être guidés par une intelligence aussi froide et aussi peu passionnée que les instruments dont il fait usage. Ayant une fois la satisfaction de comprendre qu'il est sur la trace d'une vérité nouvelle, ce seul objectif doit l'animer à la poursuivre, sans considérer si les faits qui se présentent à ses yeux sont naturellement possibles ou ne le sont pas.»

C'est avec de pareilles idées qu'il commença ses études sur le spiritisme ; elles durèrent près de dix années et furent publiées sous le titre de : «Recherches sur les phénomènes du spiritualisme», traduit de l'anglais par J. Alidel.

Dans ce livre il avoue loyalement les résultats de son enquête, tels qu'ils se sont présentés à lui ; non content du témoignage de ses sens, il a construit des instruments délicats qui mesurent mathématiquement les actions spirituelles. Loin de craindre le ridicule, M. Crookes répond ainsi à ceux qui l'engageaient à dissimuler sa foi, de crainte de se compromettre :

«M'étant assuré de la réalité de ces faits, ce serait une lâcheté morale de leur refuser mon témoignage, parce que mes publications précédentes ont été ridiculisées par des critiques et autres gens qui ne connaissent rien de ce sujet et qui avaient trop de préjugés pour voir et pour juger par eux-mêmes. Je dirai tout simplement ce que j'ai vu et ce qui m'a été prouvé par des expériences répétées et contrôlées, et j'ai encore besoin qu'on m'apprenne qu'il n'est pas raisonnable de s'efforcer de découvrir les causes des phénomènes inexpliqués.»

Voilà le langage de la vraie science et de l'honnêteté ; puissent nos savants français en profiter.

On pourrait croire que M. Crookes n'est qu'une brillante exception ; ce serait une grosse erreur de le supposer, et si l'affirmation d'un tel homme est inestimable pour notre cause, elle est encore augmentée, consolidée par celle d'autres savants qui ont pris la peine d'étudier le spiritisme.

En premier lieu nous pouvons nommer Cromwell Varley, ingénieur en chef des compagnies de télégraphie internationales et transatlantiques, inventeur du condensateur électrique. Voici encore un physicien dont l'affirmation n'est pas moins nette que celle de M. Crookes. Il a expérimenté chez lui, en observant toutes les conditions du contrôle le plus rigoureux et sa conviction est absolue ; il termine une lettre que nous reproduirons tout à l'heure en disant : «Nous ne faisons qu'étudier ce qui a été l'objet des recherches des philosophes, il y a deux mille ans ; et si une personne bien versée dans la connaissance du grec et du latin, et qui serait en même temps au courant des phénomènes qui se produisent en si grand nombre depuis l'année 1848, si un tel homme, dis-je, voulait traduire soigneusement les écrits de ces grands hommes, le monde apprendrait bientôt que tout ce qui a lieu maintenant n'est que la nouvelle édition d'un vieux côté dé l'histoire, étudié par des esprits hardis, à un degré qui porterait bien haut le crédit de ces vieux sages si clairvoyants, parce qu'ils se sont élevés au-dessus des préjugés étroits de leur siècle, et semblent avoir étudié le sujet en question dans des proportions qui, sous plusieurs rapports, dépassent de beaucoup nos connaissances actuelles.»

On le voit, chimistes et physiciens ne refusent pas leur adhésion au spiritisme. Voici un autre savant, un naturaliste célèbre qui a découvert en même temps que Darwin la loi de la sélection, M. Alfred Wallace, qui, lui aussi, fait une profession de fois spirite dans une lettre adressée au Times, que nous relaterons en exposant les faits sur lesquels se base notre conviction. Racontons seulement dans quelles conditions il fut amené à s'occuper des manifestations des esprits.

Il existe à Londres, indépendamment de la Société Royale, qui est l'Académie de l'Angleterre, une réunion de savants qui a pris le titre de : Société Dialectique ; elle compte dans son sein des hommes remarquables tels que Thomas H. Huxley, sir John Lubbock, Henry Lewès, etc.

Cette Société résolut, en 1869, d'étudier les prétendus phénomènes du spiritisme, afin d'en rendre compte au public. Une commission de 30 membres fut nommée, et dix-huit mois après, elle présenta son rapport qui fut tout en faveur des manifestations spirites. Suivant l'habitude, la Société, voyant, ses idées démenties par les faits, refusa de faire imprimer les conclusions de ses commissaires. Absolument comme l'Académie de médecine repoussa le travail de M. Husson sur le magnétisme animal, ce qui prouve que les corps savants sont les mêmes dans tous les pays ; ils se composent d'illustres médiocrités, qui se cabrent avec terreur devant toutes les nouveautés.

Lorsqu'une vérité, comme le spiritisme, se manifeste d'une manière anormale, qu'elle force l'attention publique par l'étrangeté de ses procédés, immédiatement s'élève une clameur de réprobation, et l'on cherche à étouffer officiellement ces théories qui ont l'irrévérence de se produire en dehors des laboratoires patentés de ces messieurs.

Heureusement pour l'honneur du genre humain, il se trouve encore des hommes qui ne reculent pas devant la vérité, M. Alfred Wallace fut de ce nombre. Etant membre du comité d'investigation, il fut à même de voir une multitude de faits qui le convainquirent et il publia un livre intitulé : Miracle and modern spiritualism, où ses expériences sont racontées tout au long. Il fait précisément remarquer qu'au sein de la commission, le degré de conviction produit dans l'esprit des divers membres fut, en tenant compte de la différence des caractères, à peu près proportionnel à la somme de temps et de soin apportée à l'investigation. Ceci nous conduit à dire que toute personne qui voudra expérimenter SERIEUSEMENT et consacrer quelques mois à l'étude du spiritisme, arrivera certainement à la conviction.

Mais en France on veut paraître tout savoir et tout connaître sans avoir jamais étudié. En veut-on une preuve ? Nous pouvons la donner tout de suite.

Un député, M. Naquet, annonça, il y a quelques années, qu'il ferait une conférence sur le spiritisme et ses adeptes. On s'attendait, de la part de l'éloquent orateur, à une réfutation en règle, avec de bons arguments à l'appui. Hélas ! il n'en fut rien, il se borna à rééditer les lieux communs les plus démodés et poussa l'audace jusqu'à prétendre qu'aucun homme un peu marquant ne s'était occupé de la question. Une dame se leva alors et lui fit passer la liste des savants étrangers qui ont publié des ouvrages sur le spiritisme. M. Naquet avoua naïvement son ignorance !

Devant de tels faits, n'est-ce pas le moment de réagir ? Comment ! des savants, des conférenciers prétendent détruire ce qu'ils appellent nos superstitions, et ils ne sont pas même au courant des travaux publiés sur le spiritisme ! Vraiment il est triste de constater une telle outrecuidance alliée à tant d'incurie !

Nous pouvons encore citer en Angleterre, parmi les adeptes du nouveau spiritualisme, trois hommes éminents : M. Auguste de Morgan, président de la Société mathématique de Londres ; M. Oxon, professeur à la faculté d'Oxford ; M. P. Barkas, membre de l'Institut géologique de Newcastle, et le professeur Tyndall, auteur de remarquables études physiques, qui tous sont devenus spirites après avoir constaté de visu des manifestations des esprits.

On remarquera que nous négligeons, à dessein, de parler des magistrats, des publicistes, des médecins qui ont traité la question, non que leur témoignage soit dénué de valeur, mais pour laisser à nos citations leur caractère éminemment scientifique. Nous croyons qu'après avoir énuméré tant de noms illustres de nos adeptes, on peut sourire de la plaisante prétention de ceux qui, sans études préalables, veulent repousser le spiritisme, en le traitant comme une vulgaire superstition, mieux que cela, comme «une ânerie du monde naissant», opinion gracieuse de M. Dupont White, reproduite par M. Jules Soury.

Si ânerie il y a, nous devons convenir que nous sommes en bonne compagnie ; car la studieuse Allemagne nous offre aussi un respectable contingent d'hommes de science pour soutenir notre bêtise. A leur tête était l'illustre astronome Zoellner qui, dans ses mémoires scientifiques, raconte les expériences qu'il fit en compagnie de MM. Ulrici, professeur de philosophie de la plus grande valeur ; Weber, le célèbre physiologiste ; Fechner, professeur à l'Université de Leipzig, et de M. Slade, le médium américain.

Il ressort d'études et d'expériences consciencieuses instituées par ces savants non seulement que les manifestations spirites sont réelles, mais encore qu'elles sont, au plus haut point, dignes d'attirer l'attention des hommes de science.

En France, pour les raisons énoncées plus haut, nous n'avons pas autant de notabilités officielles à compter dans nos rangs, mais les noms de Flammarion, Victor Hugo, Sardou. Mme de Girardin, Vacquerie, Louis Jourdan, Maurice Lachâtre, etc., ont bien quelque valeur et forment un joli bataillon d'ânes dans lequel MM. Dupont White et Jules Soury ne pourront jamais trouver place.1


1 Depuis la première édition de ce livre, un Institut Métapsychique International a été créé à Paris pour l'étude des phénomènes spirites et de nombreux savants affirment l'authenticité des faits. (Note de la nouvelle édition.)