De la sensibilité des éléments nerveux.

Toute l'argumentation de M. Luys porte sur une équivoque de mots ; pour lui, la sensibilité, c'est-à-dire la faculté de sentir, appartient à la cellule nerveuse ; c'est un fait qu'il énonce sans d'ailleurs en donner la moindre preuve ; il la définit ainsi :

«La sensibilité est cette propriété fondamentale qui caractérise la vie des cellules ; c'est grâce à elle que les cellules vivantes entrent en conflit avec le milieu qui les environne, qu'elles réagissent motu proprio en vertu de leurs affinités intimes mises en émoi et témoignent de l'appétence pour les incitations qui les flattent et de la répulsion pour celles qui les contrarient. L'attraction pour les choses qui sont agréables, la répulsion pour les choses désagréables sont donc les corollaires indispensables de toute organisation apte à vivre, et la manifestation apparente de toute sensibilité.»

C'est en admettant que les cellules sont capables d'éprouver de l'attraction et de la répulsion, c'est-à-dire en les supposant douées de la faculté de discerner, que M. Luys montre qu'à mesure que l'on s'élève sur l'échelle des êtres, cette propriété se spécialise dans certaines cellules seulement ; il fait voir le développement de la sensibilité marchant de pair avec l'extension de plus en plus grande du système nerveux pour arriver, dans l'homme, à son maximum de pouvoir.

Raisonner ainsi n'est pas difficile et n'exige pas de grands frais d'imagination, puisque l'on suppose démontrée la question en litige. Admettre que la cellule choisit entre les divers éléments avec lesquels elle se trouve en rapport est aussi rationnel que supposer que, dans une combinaison chimique, l'oxygène choisit le corps avec lequel il s'allie.

Mais, dira-t-on, les cellules sont vivantes, elles ont un degré de capacité et de propriété plus grand que les corps inorganiques, elles peuvent donc ne pas être soumises seulement aux lois qui régissent les corps simples et posséder un rudiment de conscience. Voici ce que répond Claude Bernard, l'illustre physiologiste, dans ses : Leçons sur les tissus vivants, page 63 :

«Puisqu'il n'y a que les éléments anatomiques qui soient vivants, ce sont eux seuls qui pourront nous donner les caractères de la vie. Or, chaque tissu présente des propriétés différentes, et l'on serait ainsi tenté de dire qu'il n'y a pas de caractère vital essentiel. Cependant les physiologistes ont essayé de déterminer ce caractère vital essentiel au milieu des variations de propriétés des tissus, et ils l'ont appelé l'irritabilité, c'est-à-dire l'aptitude à réagir physiologiquement contre l'influence des circonstances extérieures, comme l'indique le mot lui-même. Cette propriété n'appartient ni aux matières minérales, ni aux matières organiques, c'est le privilège exclusif de la matière organisée et vivante ; c'est-à-dire des éléments anatomiques vivants qui sont, par conséquent, les seules parties irritables de l'organisme. Tous les êtres vivants sont donc irritables par les éléments histologiques qu'ils comprennent, et ils perdent cette propriété au moment de la mort. La propriété d'être irritable distingue donc la matière organisée de celle qui ne l'est pas ; et, de plus, parmi les matières organisées, elle fait reconnaître celle qui est vivante de celle qui ne l'est plus, en un mot l'irritabilité caractérise la vie.

«LA MATIERE PAR ELLE-MEME EST INERTE, MEME LA MATIERE VIVANTE, en ce sens qu'elle doit être considérée comme dépourvue de SPONTANEITE. Mais cette même matière est irritable et elle peut ainsi entrer en activité pour manifester ses propriétés particulières, ce qui serait impossible si elle était à la fois dépourvue de spontanéité et d'irritabilité. L'irritabilité est donc la propriété fondamentale de la vie.»

Ce passage est très explicite : la matière, même vivante, est inerte ; il lui faut un excitant pour la faire agir, et lorsqu'elle manifeste les caractères de la vie, c'est simplement à la manière des corps inorganiques, sans aucune participation volontaire ; elle ne peut donc réagir, ainsi que le veut M. Luys, motu proprio. Une cellule nerveuse ne peut montrer de la répulsion, car il lui est impossible de choisir entre les différents corps avec lesquels elle est en contact.

Claude Bernard enseigne qu'il y a trois catégories d'irritants : les irritants physiques, les irritants chimiques et les irritants vitaux. Si la cellule est mise en présence d'un de ces irritants, elle ne peut choisir ou manifester de la répulsion ; elle réagit, parce qu'elle y est obligée. Si on la met en contact avec un corps qui ne rentre pas dans une des classes indiquées plus haut, elle reste inerte, absolument comme deux gaz qui n'ont pas d'affinités l'un pour l'autre ne se combinent pas.

La physiologie est donc en opposition formelle avec M. Luys ; elle n'admet pas que dans les phénomènes manifestés par la vie des cellules il puisse y avoir intervention d'une volonté quelconque, si infime qu'on puisse la supposer. Nous pouvons légitimement nier que la sensibilité, c'est-à-dire cette faculté de ressentir ce qui se passe en nous, soit une propriété des cellules nerveuses du corps, il faut donc l'attribuer à l'âme.

Voici encore l'avis d'un autre savant, Rosenthal, exposé dans : Les muscles et les nerfs.

«Pour que la perception des sensations se produise, il paraît absolument indispensable que l'excitation arrive juqu'au cerveau. Il est très douteux, et encore moins prouvé, qu'une autre partie de l'encéphale, et surtout la moelle, puisse produire des sensations. Lorsque les irritations parviennent au cerveau, il ne s'y produit pas seulement des sensations, mais encore des perceptions précises sur l'espèce d'irritation, sur sa cause, sur le point où elle a été pratiquée. Quelquefois, cependant, ces phénomènes n'ont pas lieu, et l'excitation passe inaperçue. C'est ce qui arrive, par exemple, lorsque notre attention est fortement appelée autre part...

«Mais on ne peut donner la moindre explication sur la manière dont se forme cette perception.

«Il est possible qu'il y ait production de phénomènes moléculaires dans l'intérieur des cellules nerveuses ; mais ces phénomènes ne peuvent être que des mouvements. Or nous pouvons bien comprendre comment des mouvements engendrent d'autres mouvements, mais nous ne savons pas du tout comment ces mouvements pourraient produire une perception

Il est donc bien établi que c'est faire une hypothèse non justifiée que d'admettre la perception, autrement dit la connaissance des phénomènes de la sensibilité, comme appartenant à la cellule nerveuse. La science positive de M. Luys est prise en flagrant délit de conceptions nullement démontrées, imaginées en vue du but à atteindre ; absolument comme les vibrations qui s'animalisent et ensuite se spiritualisent n'ont été ainsi présentées que pour écarter l'âme de l'explication de la pensée.

Il est au moins singulier de voir traiter de rêveurs et de gens peu scientifiques les spiritualistes qui croient à l'esprit, alors que les représentants de la science officielle veulent nous persuader qu'il existe des vibrations spirituelles, en contestant l'existence d'un principe immatériel.

Deuxième hypothèse de l'auteur, hasardée pour expliquer la mémoire.