III. Conséquences des théories précédentes.

Le chapitre précédent a fait dérouler sous nos yeux le panorama des opérations mystérieuses qui s'accomplissent dans le sein de la masse cérébrale. Nous avons suivi le fonctionnement de chacun des organes du cerveau ; nous avons pu admettre, théoriquement, que les choses se passent ainsi que l'enseigne M. Luys.

Mais dans la réalité, les actes multiples de la vie n'ont pas la simplicité initiale que nous avions supposée.

Un exemple nous le fera comprendre.

Lorsque nous assistons à une représentation théâtrale, les yeux et les oreilles sont affectés en même temps, et il surgit un monde d'idées déterminées par les milliers de sensations qui arrivent instantanément au cerveau. Si l'on joint à ces deux causes les impressions produites par la décoration de la salle, la chaleur, le débit des acteurs, la musique, etc., on arrivera à un total énorme d'actions sensitives perçues par le cerveau.

Comment toutes ces vibrations si diverses arrivent-elles à s'harmoniser ? Comment les mouvements vibratoires se concertent-ils pour produire chez le spectateur le sentiment de plaisir ou de malaise qui en résulte ? On a beau nous montrer que chacun des sens a une place réservée dans l'écorce cérébrale, que les excitations extérieures qui y correspondent se rendent directement dans les parties qui leur sont affectées, nous avons peine à comprendre comment les ébranlements de ces différents territoires de cellules vont se chercher les uns les autres, se fondre entre eux, pour produire une idée.

Pour arriver à saisir ce qui a lieu, il faudrait supposer que les cellules nerveuses sont capables de sentir, et encore il ne serait pas aisé de se figurer quelle serait la résultante des sensations de chacune d'elles.

Si nous admettons au contraire l'existence de l'âme, alors tout devient compréhensible. Nous avons un centre où se réunissent toutes les sensations, et par suite toutes les idées à comparer. C'est lui qui, emmagasinant les multiples impressions qu'il reçoit, les analyse, les pèse, les compare à celles qu'il possédait antérieurement et le résultat de toutes ces opérations est le jugement.

M. Luys prétend qu'il n'est pas nécessaire de recourir à l'intervention de l'âme pour expliquer toutes les actions de l'esprit, qu'on peut en rendre compte au moyen des trois propriétés fondamentales suivantes qu'il attribue au système nerveux :

1° La sensibilité ;
2° La phosphorescence organique ;
3° L'automatisme.

Ce sont ces propriétés générales que M. Luys étudie dans la seconde partie de son travail. Une fois qu'il les a connues et définies, il aborde l'étude des diverses combinaisons auxquelles elles se prêtent et veut établir que toutes les opérations de l'esprit ne sont que des sensations transformées au moyen d'actions réflexes multiples.

S'il en est du cerveau comme des centres de la moelle épinière, à cette différence près que les processus sont plus compliqués, nous ne sommes, au point de vue physiologique, que des automates dont les excitations extérieures font mouvoir les ressorts, soit directement, en suscitant des réactions immédiates, soit indirectement après une traversée plus ou moins longue dans les centres nerveux.

Telles sont les opinions d'un certain nombre de savants qui représentent à notre époque l'école positive. Il est facile de constater que leur philosophie n'est que la forme scientifique des théories de Hume, et qu'elles n'ont pas gagné en valeur, en passant sur ce terrain nouveau.

Malgré les déclarations et le ton doctoral qu'ils affectent, ils ne peuvent nous en imposer ; ainsi par rapport à la volonté, M. Luys écrit ce qui suit :

«Les controverses des philosophes et des métaphysiciens se sont exercées de longue date pour n'arriver qu'à une chose : à exprimer en phraséologie sonore leur ignorance plus ou moins absolue des conditions de la vie psychique.»

Nous ne savons jusqu'à quel point ces paroles sont fondées, mais ce que nous allons démontrer, c'est que le savant professeur ne fait que des hypothèses très contestables pour expliquer les phénomènes de l'esprit et pour un positiviste, pour un homme qui le prend de si haut avec la philosophie, il eût été prudent de ne pas s'exposer à se faire démentir par les faits.