II. Le cerveau et ses fonctions.

Pour bien comprendre la discussion, il est indispensable de s'engager à la suite de l'auteur dans l'analyse détaillée qu'il fait des différentes parties du cerveau, en résumant d'une manière succincte ce qui est en rapport avec notre sujet.

M. Luys est un expérimentateur de premier ordre ; il a perfectionné les méthodes d'investigation de la substance cérébrale en employant une série de coupes méthodiquement espacées de millimètre en millimètre, soit dans le sens horizontal, soit dans le sens vertical, soit dans le sens antéro-postérieur ; et ces coupes, ayant été pratiquées suivant les trois directions de la masse solide qu'il s'agit d'étudier, ont été reproduites par la photographie.

Les opérations ainsi régulièrement conduites ont permis d'avoir des représentations aussi exactes que possible de la réalité et de conserver les dispositions mutuelles des parties les plus délicates des centres nerveux. On a pu, en comparant les sections soit horizontales, soit verticales, suivre tel ordre de fibres nerveuses dans sa progression vers son point de départ ou son point d'arrivée. On a étudié millimètre par millimètre la marche naturelle et les intrications successives des différentes catégories de fibrilles nerveuses, sans rien changer, sans rien lacérer, en laissant en quelque sorte les choses dans leur état normal. De plus, les portions qu'on avait observées au microscope ont été agrandies au moyen de la photographie, ce qui a permis de voir certains détails anatomiques qu'on n'avait pas encore remarqués.

Le système nerveux de l'homme présente trois grandes divisions :

1° Le cerveau et le cervelet ;
2° La moelle épinière ;
3° Les nerfs.

Figure 1.

A Couche corticale grise du cerveau.
B Fibres blanches qui font communiquer deux parties semblables de chaque hémisphère.

Nous n'avons pas à considérer la moelle épinière, non plus que les nerfs ; ce qui nous intéresse c'est le cerveau. Il est constitué par deux hémisphères A et C réunis au moyen d'une série de fibres blanches transversales B qui font communiquer les parties semblables de chaque lobe, de façon que les deux moitiés ne fassent qu'un corps dont toutes les molécules sont en rapport les unes avec les autres.

Chaque lobe pris séparément présente à son tour :

1° Des amas de substance grise ;
2° Des agglomérations de fibres blanches.

1° Les amas de substance grise, composés de millions de cellules qui sont les éléments essentiellement actifs du système, sont disposés :

D'abord à la périphérie du lobe, sous forme d'une couche mince, onduleuse et continue ; c'est l'écorce cérébrale A, figure 1.

D'autre part, dans les régions centrales sous forme de deux noyaux gris accolés et qui ne sont autre chose que la substance grise des couches optiques et des corps striés «C, figure 2».

Figure 2.

Même figure que la précédente, mais avec les couches optiques.
A Couche corticale grise.
B Fibres blanches commissurantes.
C Couches optiques.
D Fibres blanches faisant communiquer les couches optiques avec chaque hémisphère, et entre elles.

2° La substance blanche, entièrement composée de tubes nerveux juxtaposés, occupe les espaces compris entre l'écorce des lobes et les noyaux du centre. Les fibres qui la constituent ne représentent que des traits d'union entre telle ou telle région de l'écorce cérébrale, et telle ou telle région des noyaux centraux. Ils peuvent être considérés comme une série de fils électriques tendus entre deux stations et dans deux directions différentes. Ceux qui réunissent les divers points de la surface des hémisphères aux noyaux centraux sont comparables à une roue dont les rayons relient la circonférence au centre, les autres ont une direction transversale et joignent deux parties semblables de chaque hémisphère.

SUBSTANCE CORTICALE DES HEMISPHERES. - Tout le monde connaît l'apparence extérieure des lobes du cerveau. Il suffit de se rappeler les cervelles de mouton que l'on sert habituellement sur nos tables pour voir, au premier abord, que la substance grise corticale se présente sous l'apparence d'une lame grise, onduleuse, repliée un grand nombre de fois sur elle-même et formant une série de sinuosités multiples qui n'ont d'autre but que d'agrandir sa surface. On a cru remarquer dans ces plis certaines dispositions générales ; mais le plus grand nombre affectent les formes les plus variées suivant les individus. Les hémisphères ne sont pas rigoureusement homologues, c'est-à-dire n'ont pas absolument la même conformation, mais les modifications entre les deux lobes sont de très minime importance.

L'épaisseur de la couche cérébrale est en moyenne de deux à trois millimètres ; en général, elle est plus abondamment répartie dans les régions antérieures que dans les postérieures. La masse varie suivant les âges et suivant les races : Gratiolet a remarqué que dans les espèces de petite taille la masse de la substance corticale était peu abondante.

Lorsque l'on prend une tranche mince de cette matière grise de l'écorce du cerveau, qu'on la comprime entre deux lames de verre, on remarque qu'elle se partage en zones d'inégale transparence et que ces zones se disposent en une striation régulière et fixe. Nous verrons tout à l'heure que ces apparences ne sont que le résultat de la structure intime de la substance corticale. Tels sont les caractères que présente l'écorce cérébrale envisagée à l'oeil nu et que tout le monde peut constater sur des cerveaux frais.

Pénétrons maintenant, à l'aide de verres grossissants, dans l'intérieur de cette substance mollasse, amorphe en apparence, et dont l'aspect homogène est loin de nous révéler les merveilleux détails.

Que trouve-t-on dans la substance cérébrale comme élément anatomique fixe, comme unité première ? La cellule nerveuse, avec ses attributs variés, ses configurations définies ; on voit aussi des fibres nerveuses et un tissu qui joint tous ces éléments, lequel est traversé par des vaisseaux sanguins très petits nommés capillaires.

C'est de l'étude de la cellule que dépend la science des propriétés du cerveau, puisqu'elle est l'unité primordiale du tissu cérébral, et lorsque nous connaîtrons les propriétés intimes de cet élément, nous aurons une idée exacte du rôle de la matière cervicale.

A la partie inférieure de cette couche des hémisphères, nous voyons le commencement de ces fibres qui joignent la surface au centre. Elles sont d'abord ramifiées à l'infini, de manière à entrer en contact avec un grand nombre de cellules de la couche corticale, puis vont en se condensant jusqu'à leur sortie de l'écorce des hémisphères, où elles ont la forme de fibres compactes.

Figure 3.

Coupe et grossissement de l'écorce du cerveau.
A. Petites cellules.
B. Grosses cellules.
C. Commencement des fibres blanches qui retient la couche corticale aux lobes optiques.
D. Capillaire amenant le sang.

Si nous examinons les cellules nerveuses, nous voyons qu'elles ont, comme toute cellule, une forme déterminée par une membrane enveloppe, le plus souvent irrégulière, dont les contours simulent des sortes de bras s'allongeant dans divers sens ; puis à l'intérieur, un noyau portant un point brillant qu'on appelle nucléole. Dans l'écorce du cerveau, les cellules les plus petites occupent les régions supérieures A et les plus grosses les régions profondes B ; ces dernières ont environ un volume double des premières, et le passage des petites ou grosses se fait par transitions insensibles. Il résulte des ramifications de toutes ces cellules qu'elles forment un véritable tissu dont toutes les molécules sont aptes, en quelque sorte, à vibrer à l'unisson.

Pour se rendre compte du nombre immense de ces cellules nerveuses, il suffit de savoir que sur un espace égal à un millimètre carré de substance corticale, ayant pour épaisseur un dixième de millimètre, on compte à peu près cent à cent vingts cellules nerveuses de volume varié. Que l'on suppute maintenant par l'imagination le nombre de fois que cette petite quantité est contenue dans l'ensemble, on arrivera à une évaluation de plusieurs millions.

L'imagination reste confondue quand on pénètre dans le monde de ces infiniment petits où l'on retrouve ces mêmes divisions infinies de la matière, qui frappent si vivement l'esprit dans l'étude du monde sidéral.

Lorsqu'on examine la structure d'un élément anatomique, laquelle n'est visible qu'avec un grossissement de sept à huit cents diamètres, si l'on vient à penser que ce même élément se répète par millions dans l'épaisseur de la couche cérébrale, on ne peut s'empêcher d'être saisi d'admiration. Si l'on songe que chacun de ces petits appareils a son autonomie, son individualité, sa sensibilité organique intime, qu'il est relié à ses congénères, qu'il participe à la vie commune et qu'en définitive il est l'ouvrier silencieux et infatigable qui élabore discrètement ces forces nerveuses nécessaires à l'activité psychique, qui se dépense incessamment dans toutes les directions, on reconnaît la merveilleuse organisation qui préside au monde des infiniment petits.

De ce qui précède, nous concluons que la substance corticale représente un immense appareil, formé par des éléments nerveux doués d'une sensibilité propre, il est vrai, et cependant solidarisés entre eux, car les séries de cellules disposées en étages, les rapports de ces différentes couches les unes avec les autres, impliquent l'idée que les activités nerveuses de chaque zone peuvent être isolément éveillées, qu'elles ont la faculté de s'associer ensemble, d'être modifiées d'une région à une autre, suivant la nature des cellules intermédiaires mises en émoi ; qu'en un mot, les actions nerveuses, comme des ondulations vibratoires, doivent se propager de proche en proche suivant la direction des cellules organiques, soit dans le sens horizontal, soit dans le sens vertical, ou des zones profondes aux zones superficielles et réciproquement.

Jusqu'ici, nous sommes sur le ferme terrain de l'observation ; mais il faut le quitter pour entrer dans les déductions physiologiques qui sont toujours plus ou moins sujettes à discussion.

Au point de vue de la signification physiologique de certaines zones, et du mode de répartition de la sensibilité et de la motilité (faculté de donner le mouvement), il est permis, en s'appuyant sur les lois de l'analogie, de supposer que les régions supérieures, occupées principalement par les petites cellules, doivent être surtout en rapport avec les manifestations de la sensibilité, tandis que les régions profondes, peuplées par les groupes de grosses cellules, peuvent être principalement considérées comme centres d'émission du phénomène de la motricité, c'est-à-dire des incitations qui déterminent le mouvement.

Ces déductions s'appuient sur ce fait d'observation que, dans la moelle épinière, les nerfs sensitifs sont en rapport avec les petites cellules de la moelle, et les nerfs moteurs avec les grosses cellules dans lesquelles s'accomplissent les diverses actions de la motricité. Par analogie, on serait donc en droit d'envisager les cellules supérieures de la couche corticale comme la sphère de diffusion de la sensibilité générale et spéciale, et par cela même le grand réservoir commun, sensorium commune, de toutes les sensibilités de l'organisme ; d'un autre côté, on pourrait regarder les couches profondes comme le lieu d'émission des phénomènes du mouvement.

SUBSTANCE BLANCHE. - La substance blanche est composée en grande partie par des fibres nerveuses blanches B (fig. 1 et 2) formées essentiellement d'un filament central nommé cylinder axis, puis d'une gaine entourant cet axe. Entre le cylinder axis et cette gaine se trouve une substance oléo-phosphorée, transparente pendant la vie, que l'on nomme la myéline. Elle a pour but d'isoler le cylinder, absolument comme on entoure de caoutchouc les fils destinés à conduire l'électricité. La comparaison est d'autant plus juste que les fibres blanches ne servent qu'à transmettre du centre à la périphérie, ou réciproquement, les excitations nerveuses.

L'examen des centres opto-striés terminera la revue des principales parties du cerveau, sans laquelle nous n'aurions pu comprendre la théorie de M. Luys.

COUCHES OPTIQUES. - (Voir fig. 4.) Les couches optiques et les corps striés sont en quelque sorte les pivots naturels autour desquels gravitent tous les éléments du système ; elles se présentent sous la forme d'une masse de substance grise dont la structure anatomique, les rapports généraux, étaient à peine connus jusque dans ces derniers temps. Elles représentent un ovoïde, sorte d'oeuf, de couleur rougeâtre, occupant, ainsi qu'on peut le vérifier le compas à la main, le milieu même du cerveau ; elles sont pour ainsi dire le centre d'attraction de toutes ces fibres dont elles commandent le groupement et la direction.

Une série de petits noyaux placés les uns à côté des autres, dans une direction allant de l'arrière à l'avant du cerveau, sont les parties principales de la couche optique. Ces excroissances implantées dans la masse sont au nombre de quatre ; la plupart ont été décrites par les anatomistes, par Arnold en particulier, sauf le noyau médian qui a été signalé par M. Luys ; ils forment à la surface de la couche des tubérosités qui donnent à ce corps un aspect mamelonné.

Sur une série de coupes horizontales et verticales, on peut s'assurer que ces noyaux forment de véritables petits centres, constitués par des cellules enchevêtrées, et communiquant isolément avec des groupes spéciaux de fibres nerveuses afférentes. Voyons maintenant au point de vue physiologique l'importance de ces centres.

Jusque dans ces dernières années, les couches optiques étaient pour les auteurs un problème insoluble, une terre inconnue dont l'anatomie avait à peine précisé la situation ; aussi comprend-on facilement que la fonction de chacun des noyaux était loin de pouvoir être fixée.

C'est en étudiant lui-même et en examinant les ramifications de chacun de ces centres avec la périphérie que M. Luys est arrivé à considérer ces noyaux comme autant de petits foyers de concentration, isolés et indépendants, pour les différentes catégories d'impressions sensorielles qui arrivent dans leur substance.

Ainsi le centre antérieur qui communique avec le nerf olfactif est celui qui doit transmettre les impressions venant des régions périphériques affectées à cet organe, c'est-à-dire du nez. Ce qui le prouve, c'est que, dans les espèces animales dont le flair est très développé, ce noyau est proportionnellement très gros. Il est donc bien le point où convergent toutes les sensations olfactives avant d'être irradiées vers la périphérie corticale.

C'est ainsi qu'on a déterminé pour les autres sens les fonctions suivantes :

1° Le noyau moyen est destiné à la condensation des sensations visuelles ;
2° Le noyau médian est le point de concentration de la sensibilité générale ;
3° Le noyau postérieur sert à condenser les sensations auditives.

Ces données, quoique nouvelles, sont, suivant M. Luys, confirmées par des expériences physiologiques et, d'autre part, par l'examen des symptômes cliniques qui sont, dans ces matières, le critérium irréfragable de toute doctrine vraiment scientifique.

Si l'on admet les déductions précédemment exposées, on comprendra qu'on puisse envisager les couches optiques comme des régions intermédiaires entre les incitations purement spinales, c'est-à-dire venues de la moelle épinière, et les activités plus épurées de la vie psychique.

Par leurs noyaux isolés et indépendants, elles servent de points de concentration à chaque ordre d'impressions sensorielles qui trouvent dans leurs réseaux de cellules un lieu de passage et un champ de transformation. C'est là que celles-ci sont d'abord condensées, mises en dépôt et travaillées par l'action spéciale des éléments qu'elles ébranlent sur leur parcours. C'est de là, ainsi que d'une dernière étape, après avoir émergé de ganglion en ganglion à travers les conducteurs centripètes qui les transportent, qu'elles sont dardées dans les régions de la périphérie corticale, sous une forme nouvelle et SPIRITUALISEES en quelque sorte, pour servir de matériaux incitateurs à l'activité des cellules de la substance corticale.

Ce sont les seules portes ouvertes par lesquelles passent toutes les incitations extérieures destinées à être mises en oeuvre par les cellules corticales, et les uniques conduits qui permettent à l'activité psychique de se manifester au-dehors.

L'examen du cerveau nous montre que chacun des centres dont nous avons parlé est plus particulièrement en rapport avec certaines parties de la substance corticale.

On peut donc admettre aujourd'hui cette vérité autrefois si controversée des localisations cérébrales. Il est aisé de comprendre maintenant comment le développement périphérique de tel ou tel appareil sensoriel détermine dans les régions centrales un appareil récepteur, en quelque sorte proportionnel ; comment la richesse en éléments nerveux de la substance corticale elle-même, le degré de sensibilité propre, l'énergie spécifique de chacun d'eux, pourra, à un moment donné, jouer un rôle prépondérant dans l'ensemble des facultés mentales et déterminer le tempérament et l'activité spécifique de telle ou telle organisation.

Enfin les expériences de Schiff établissent que les incitations de la vie organique pénètrent aussi jusqu'aux lobes optiques. C'est donc à un double point de vue que l'on peut considérer les lobes optiques comme le noeud de tout l'ensemble du système cérébral.

Le corps strié est à présent le dernier organe que nous devions étudier.

CORPS STRIE. - L'amas de substance grise désigné sous le nom de corps strié est, avec la couche optique, la portion complémentaire de ces deux noyaux gris qui occupent la place centrale de chaque hémisphère et qui sont, ainsi que nous l'avons déjà plusieurs fois signalé, les pôles naturels autour desquels gravitent tous les éléments nerveux.

Les couches optiques semblent être le prolongement des cellules sensitives de la moelle, tandis que le corps strié serait la continuation des cellules motrices de l'axe spinal.

La masse des corps striés se compose de grosses cellules semblables à celles de la région inférieure de l'écorce corticale, et reliées entre elles de la même manière. Ainsi que dans les couches optiques, il existe des fibres qui joignent le corps strié à la substance corticale.

Ces fibres représentent donc, à proprement parler, les traits d'union naturels entre les régions corticales d'où émergent les incitations volontaires et les différents points du corps strié où elles se renforcent. Ce sont les expériences de Fristch et de Hitzig, et plus tard de Fournier, qui ont démontré qu'il existe un ordre spécial de fibres nerveuses, irradiées des différents départements de la substance corticale et allant se distribuer dans des territoires isolés de la substance grise des corps striés, laquelle se trouve ainsi associée d'une manière directe et instantanée à tous les ébranlements des régions de la substance cérébrale des hémisphères.

Il faut noter dans les corps striés la présence de petites particules jaunes qui sont mises en relation avec le cervelet par des fibres spéciales. Selon M. Luys, ces noyaux jaunes seraient les récepteurs de la force nerveuse dégagée par le cervelet sous le nom d'influx cérébelleux. Cette innervation, véritable force surnuméraire, sert à augmenter l'action du corps strié. C'est elle qui, semblable à un courant continu, déverse incessamment la force nerveuse qui charge les cellules du corps strié. C'est elle qui donne à nos mouvements leur force, leur régularité, leur continuité.

Dans l'intérieur des tissus du corps strié, les incitations parties des centres moteurs de l'écorce cérébrale font une première halte dans leur course descendante ; elles entrent en relation plus intime avec des éléments nouveaux qui renforcissent, MATERIALISENT en quelque sorte les excitations si faibles, à leur début, des cellules motrices de l'écorce cérébrale. L'influx de la volonté sort du corps strié, augmenté pour ainsi dire, et se rend dans les diverses parties des pédoncules cérébraux où il actionne à son tour différents groupes de cellules, dont il excite les propriétés dynamiques. Connaissant maintenant les éléments généraux du cerveau, examinons quelle est la marche de la sensation à travers tous ces organes. Nous ne pouvons entrer dans tous les développements que l'auteur a donnés à cette étude. Nous nous bornerons à nous rendre compte de la manière dont une excitation extérieure arrive au cerveau, et comment elle revient à la périphérie sous forme d'incitation motrice.

MECANISME DE LA SENSATION. - Les nerfs qui s'épanouissent à la surface du corps ne vibrent pas indifféremment sous toutes les impulsions ; il faut que les fibrilles qui les composent puissent entrer en mouvement sous des incitations déterminées : par exemple, les sensations lumineuses sont de nul effet sur le nerf auditif et réciproquement.

Supposons, pour plus de clarté, que nous n'ayons affaire qu'à des vibrations lumineuses. Lorsque la rétine est affectée par le mouvement ondulatoire de l'éther, il faut un certain temps pour que cet ébranlement matériel détermine des vibrations dans le nerf optique, mais une fois produites elles se propagent de proche en proche jusqu'aux couches optiques. Là, ces vibrations sont concentrées dans le premier noyau dont nous avons constaté l'existence ; elles subissent de la part de ce petit centre une action qui a pour but de les spiritualiser, ayant déjà été animalisées dans le trajet des nerfs.

Après un temps d'arrêt nécessaire à cette opération, elles sont lancées vers le sensorium, c'est-à-dire vers la partie périphérique du cerveau, où elles se répandent dans la couche des petites cellules et mettent en action toute une série d'éléments nerveux relatifs aux impressions visuelles.

Figure 4.

A Ecorce du cerveau. D Corps strié.
B Fibre commissurante qui joint E Noyaux médians.
l'écorce aux couches optiques. F Oreille.
C Couches optiques. G Oeil.

MECANISME DE LA SENSATION

Une sensation lumineuse arrive en I ; là elle ébranle la rétine qui communique son mouvement au centre J, par l'intermédiaire du nerf optique. De ce noyau J, la sensation est renvoyée dans la couche corticale en R. Arrivée là, elle ébranle les cellules voisines, telles que L, qui propagent le mouvement dans les zones profondes. L'action ondulatoire retourne transformée dans le noyau M du corps strié, et ensuite se distribue dans le corps au moyen du nerf N.

Chaque ordre d'incitation sensorielle est ainsi dispersé et cantonné dans un endroit spécial de l'écorce du cerveau. L'anatomie montre d'ailleurs qu'il y a des localisations définies, des régions limitées, organiquement destinées à recevoir, à condenser, à transformer telle ou telle catégorie d'impression venant des sens.

La physiologie expérimentale a prouvé de son côté que sur les animaux vivants, ainsi que les belles expériences de Flourens l'ont depuis longtemps montré, on pouvait, en enlevant méthodiquement des tranches de la substance cérébrale, faire perdre parallèlement, à ces mêmes animaux, soit la faculté de percevoir les impressions visuelles, soit celle de percevoir les impressions auditives. Bien plus, Schiff a mis en évidence ce fait, que le cerveau d'un chien s'échauffait partiellement suivant la nature des excitations qui l'affectaient. Donc les impressions sensorielles parviennent toutes, en dernier lieu, dans les réseaux de la substance corticale ; elles y arrivent transformées par l'action des milieux intermédiaires qu'elles ont rencontrés sur leurs parcours ; enfin, c'est là qu'elles s'amortissent, qu'elles s'éteignent pour revivre sous une forme nouvelle, en mettant en jeu les régions de l'activité psychique où elles sont définitivement reçues.

Ici se trouve le point délicat de la démonstration ; on peut se rendre compte jusqu'à présent de la marche évolutive des mouvements vibratoires, en faisant toutefois des réserves sur l'animalisation et la spiritualisation de ces vibrations matérielles, mais comment comprendre qu'elles se transforment en IDEES ?

Suivons l'auteur dans ses raisonnements.

Une fois que l'incitation sensorielle s'est distribuée au milieu du réseau de l'écorce cérébrale, quels sont les phénomènes nouveaux qui se déroulent ?

D'après M. Luys, l'analogie seule nous permet de penser que les cellules sensitives cérébrales se comportent comme celles de la moelle épinière, et qu'en présence des incitations physiologiques qui leur sont propres, elles réagissent d'une façon similaire.

(On sait que dans l'action réflexe, les excitations des nerfs sensitifs transmettent aux petites cellules de la moelle épinière une irritation qui, se communiquant et se réfléchissant sur les grosses cellules de la moelle, ébranle les nerfs moteurs qui y correspondent, de sorte que l'excitation revient à son point de départ sous forme d'incitation motrice. C'est de cette manière qu'une grenouille à laquelle on a coupé la tête contracte encore la patte que l'on irrite avec un acide.)

M. Luys admet donc qu'au moment où la cellule corticale reçoit l'imprégnation de l'ébranlement extérieur, elle s'érige en quelque sorte, développe sa sensibilité propre et dégage les énergies intimes qu'elle renferme. C'est ainsi que le mouvement se propage de proche en proche, éveillant les activités latentes de nouveaux groupes de cellules qui, à leur tour, deviennent des foyers d'activité pour leurs voisines.

Ce que nous venons de décrire s'opérant dans toutes les directions, ces excitations parties des cellules de la substance corticale se propagent dans sa profondeur et agissent sur les grosses cellules qui, à leur tour, transmettent ces ébranlements au corps strié, lequel les renforce et les lance dans l'organisme sous forme d'incitations motrices.

Telles sont, suivant M. Luys, la genèse et la marche d'un ordre de sensations quelconques, mais il ajoute qu'il ne faut pas confondre l'évolution des phénomènes de la sensibilité avec de simples actions réflexes comme celles de l'axe spinal ; et si l'on peut dire que la motricité volontaire n'est qu'un acte de sensibilité transformée, c'est toutefois la sensibilité doublée, triplée, multipliée par toutes les activités cérébrales mises en émoi, la personnalité sentante et vibrante qui entre en jeu sous une forme somatique et qui se révèle au-dehors par une série de manifestations réfléchies et coordonnées.

Arrêtons-nous un instant et cherchons quelle est la pensée qui se dégage de toutes ces hypothèses. Nous avons bien compris comment l'ébranlement nerveux arrivait jusqu'à la couche superficielle du cerveau, mais, une fois là, M. Luys nous parle de cellules qui «s'érigent». Nous avouons ne pas comprendre ce que cela veut dire. Est-ce pour exprimer que les cellules développent toutes les énergies qu'elles contiennent ? Nous y consentons, mais quel rapport peut-il y avoir entre une action nerveuse, si érigée qu'elle soit, et la pensée ? L'auteur sait que son argumentation n'est pas suffisante, il ajoute que la cellule dégage sa sensibilité propre, et, par ce mot, il laisse entendre que la cellule elle-même est capable de sentir, nous verrons plus loin si son opinion est fondée. Enfin il indique le mouvement de retour de ces excitations, mais il oublie de noter qu'entre l'arrivée et le départ de ces sensations, il s'est produit un fait très important : celui de la PERCEPTION, c'est-à-dire la connaissance par le MOI, par la personnalité humaine, des actions qui se sont accomplies.

C'est ici qu'il est utile d'insister, car toutes les évolutions si savamment décrites des vibrations nerveuses ne sont que les préliminaires de l'acte de la perception et il faut de toute nécessité que ces vibrations éveillent quelque chose, une force latente qui en prenne connaissance ; sans quoi, elles restent lettre morte pour l'entendement, comme le démontre le phénomène de la distraction dont nous avons parlé au chapitre précédent.

Ce qui prouve dans ce cas la nécessité de l'intervention d'un agent nouveau, c'est que M. Luys dit qu'il ne faut pas confondre ces actes du cerveau avec de simples actions réflexes ; il sent lui-même qu'il y a une différence, mais elle ne consiste, à son point de vue, que dans la multiplicité et l'intensité des forces qui se manifestent. Dans la moelle, les opérations sont simples ; dans le cerveau, elles sont compliquées. Si cela est juste, pourquoi ces actions qui sont inconscientes dans l'axe spinal deviennent-elles des faits de conscience au cerveau ? Le savant physiologiste a été obligé d'admettre, pour appuyer sa théorie, qu'il existe une analogie complète entre les différents ordres de cellules du cerveau et les différents ordres de cellules de la moelle épinière ; il doit donc encore l'admettre lorsqu'il s'agit de la sensibilité, et cependant rien dans les cellules de l'écorce corticale ne dénote que la conscience y réside.

On a beau analyser toutes les forces «qui entrent en jeu sous une forme somatique», elles sont impuissantes à faire comprendre la nature ou la génération d'une idée tant que l'on s'obstine à nier l'âme.