CHAPITRE 7
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Le débat public entre Barsanulfo et le prêtre Yague

  • Et il fut transfiguré devant eux ; son visage resplendit comme le soleil, et ses vêtements devinrent éblouissants comme la lumière.
  • (Matthieu, 17-2)

    Six années durant, Euripide Barsanulfo put mener sa double mission dans un calme relatif : la mission médiumnique et celle d'éducateur, qui exigeaient une totale abnégation de sa part. C'était comme si les persécuteurs l'avaient oublié...

    C'est en 1913, à trente-trois ans, qu'il dut, pour la première fois, défendre publiquement les vérités spirituelles. Il soutint deux polémiques presque en même temps avec des leaders catholiques : l'une dans la presse et l'autre publiquement. Dans les deux cas, la Doctrine Spirite en sortit victorieuse.

    Le premier débat eut lieu avec le prêtre Félicien Yague, de Campinas, missionnaire de l'Immaculé Coeur de Marie et prédicateur remarquable. Très cultivé, il dirigeait le Collège Salésien1. Invité par les prêtres de la paroisse, il vint à Sacramento dans le but de détruire, par sa puissante dialectique, l'influence d'Euripide Barsanulfo et le fameux Collège Allan Kardec...

    L'arrivée du prêtre Yague fut soutenue par une intense publicité. Le dimanche matin, la Paroisse était pleine... Les responsables politiques de la région étaient présents. A la fin de la messe, le prêtre Yague monta en chaire puis, enflammé, il abattit sur le Spiritisme une tempête de mensonges, qualifiant les spirites "d'adeptes du diable".

    Le prêtre réserva la fin du "sermon" à Euripide. Il le couvrit d'injures, mais en voulant prouver que la Doctrine Spirite était diabolique, il commit une erreur en défiant le médium à un débat public...

    Euripide, qui se dédoublait avec beaucoup de facilité, était allé en esprit écouter la prédication du prêtre. Lorsque ses amis vinrent lui conter le défi, l'apôtre répondit calmement :

    - Notre frère prédicateur est exalté, mais je ne peux me taire. Ce n'est pas parce que je me sens offensé, mais parce que la doctrine spirite a été défigurée publiquement. Dites au prêtre Félicien Yague que je désire le rencontrer chez le colonel José Afonso de Almeida pour fixer le jour, le lieu, l'heure et les autres détails.

    Le spirite Jean Gonçalves Rio se chargea de porter le message. Peu après, José Afonso de Almeida, très respecté à Sacramento (il était colonel de la Garde Nationale et président du Conseil Municipal), reçut dans son salon le prêtre Félicien Yague, Euripide Barsanulfo, Watersides Wilon, Origène Tormin et le prêtre Julien Nunes. Le colonel accepta la proposition de diriger le débat et décida de le réaliser le vingt-huit octobre (1913), à 13 heures, dans le kiosque de la Place de la Paroisse. De plus, il stipula que les orateurs prendraient la parole successivement : trente minutes chacun pendant deux heures.

    - Et le thème ? demanda le colonel en caressant son bouc. Quel est le thème central ?

    Le prêtre Félicien se dit alors disposé à prouver que le Spiritisme est athée ; que les phénomènes Spirites ne peuvent s'expliquer sans l'intervention diabolique ; que le Spiritisme n'est ni une religion ni une science... Quatre points fondamentaux. A la demande d'Euripide et avec l'accord du prêtre Yague, le colonel José Afonso de Almeida fit alors sur place un compte-rendu de la réunion. Il le lut à voix haute et demanda aux personnes présentes de le signer. C'était une mesure de précaution : aucune partie ne pouvait se dérober...

    Une heure plus tard, la population était informée de la polémique doctrinale. Dans le centre-ville et la périphérie, on ne parlait d'autre chose. La nouvelle se répandit et des groupes de spirites étaient venus d'autres villes. Le jour venu, deux mille personnes se réunirent sur la Place de la Paroisse ! Dans le kiosque arrivèrent Euripide Barsanulfo et son adversaire le prêtre Yague, le colonel José Afonso de Almeida, le prêtre Julien Nunes et le prêtre Pedro Ludovico de Santa Cruz ; soit dit en passant, ce dernier possédait un club de jeu de cartes, était banquier du jogo do bicho2 et portait deux revolvers sous sa soutane3.

    L'ambiance était lourde, mais la présence du colonel José Afonso de Almeida était une garantie. Il accorda la parole au prêtre Yague qui, frénétique, se lança directement sur le thème initial. Mais sa dialectique contre le spiritisme était fragile, car le prêtre était parti d'une contrevérité : le Spiritisme est athée. Les intellectuels de Sacramento pressentirent tout de suite qu'il allait perdre la polémique. Ses divagations devinrent trop tortueuses et comme il fallait s'y attendre, il exploita le thème de "l'enfer" et se détourna du sujet certainement pour confondre Euripide Barsanulfo...

    - Dieu, dit le prêtre en gesticulant devant la foule, déclare que l'enfer existe ; le Spiritisme le nie ; le spiritisme affirme donc que Dieu est ignorant car il ignore l'existence de l'enfer, ou menteur car en le sachant, il déclare que son existence est irréelle.

    Ainsi, sur ce sophisme syllogistique, le colonel montra l'horloge au prêtre Yague : les trente minutes étaient écoulées. Les deux mille personnes se regardèrent. Euripide Barsanulfo complimenta poliment son adversaire, puis demanda aux assistants de penser à Dieu ; puis, avec sa voix enthousiaste, calme et au timbre cristallin, il improvisa une prière sans oublier de demander la protection du prêtre Yague et de tous ceux qui ne comprenaient pas encore les Vérités Divines. Il commença son discours sous l'inspiration de Saint Augustin.

    Tous les arguments du prêtre Yague, basés sur des sophismes et émaillés d'expressions violentes, tombèrent en ruines.

    A la fin de la polémique, Euripide était comme transfiguré : Le peuple l'applaudit et voulait le porter en triomphe dans les rues. Mais le médium fit un appel au calme, et retourna rapidement chez lui entouré par des parents et amis.

    Le lendemain, le prêtre Yague prit discrètement le chemin de Campinas pendant que les béats les plus exaltés de Sacramento propageaient dans la rue, les magasins et les cafés des doutes quant à l'échec du prédicateur... Euripide fit imprimer un bulletin avec la synthèse de la polémique et le distribua au peuple et dans les villes voisines. La question était close.


    1 Témoignage de José Rezende da Cunha et Edalides Milan da Cunha.


    2 N.d.T.: "jeu de l'animal", loterie clandestine très populaire au Brésil.


    3 Témoignage d'Angelo Ribas Sobrinho (disciple d'Euripide de 1911 à 1915).