CHAPITRE 5
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Le Collège Allan Kardec
(points communs avec Pestalozzi)

  • Demandez, et l'on vous donnera ; cherchez, et vous trouverez ; frappez, et l'on vous ouvrira. Car quiconque demande reçoit, qui cherche trouve, et à qui frappe on ouvrira.
  • (Matthieu, 6-7,8)

    Les ténèbres paraissaient victorieuses.

    Le Lycée de Sacramento avait cessé ses activités, mais il allait être remplacé par un établissement culturel qui rayonna dans tout le pays, sur plusieurs générations... Monsieur Mogico, inspiré par de bons esprits, avait acheté au promoteur public Jean Gomes Vieira de Melo une maison avec un grand terrain, et la céda à son fils en mars 1907. La bâtisse n'était ni très grande ni neuve, mais Euripide l'aménagea immédiatement en école. Il engagea de nouveaux professeurs. Maria Gonçalves dos Santos s'occupa de la classe préparatoire, Ocarlino José de Oliveira, ancien disciple d'Euripide, du cours élémentaire et Watersides Wilon du cours moyen. Euripide se chargea du cours supérieur et contribua au cours élémentaire1. Ils étaient spirites. Les disciplines enseignées montrent le sérieux du nouvel établissement culturel : botanique, géographie, histoire, mathématiques, français, portugais, anatomie, zoologie, astronomie, chimie, physique. Les mercredis, de dix heures à midi, Euripide donnait un cours de religion aux élèves de toutes les classes.

    La nouvelle école était prête à ouvrir ses portes. Elle disposait d'une bibliothèque de près de trois cents livres, dont "l'Histoire Naturelle" de 1187 pages en deux tomes, de F. Martin et Rebau (allemands), traduite par Martius, et celles de Guerra Junqueiro, de Rui Barbosa et d'Allan Kardec.

    Le nouveau lycée, fréquenté par beaucoup d'élèves des deux sexes, fut inauguré le premier avril 1907 (cinquante ans après la publication en France du "Livre des Esprits"), malgré les attaques contre le spiritisme publiées par la chaire dans la presse ainsi que dans des bulletins distribués par les béats... Signalons que Manoel Rodrigues Paixao fut l'unique vicaire à rester neutre devant l'inauguration de l'école. Il était ami d'Euripide, bien que ce dernier fût le pionnier du spiritisme sur les terres du Triangle Mineiro (région de l'état du Minas Gerais).

    Le Lycée eut un succès total pour diverses raisons. La morale de son directeur était irréprochable et à Sacramento, il n'y avait pas d'autre école de cours moyen et supérieur. De plus, la majorité des étudiants de la région n'avait pas de ressources et Euripide ne leur demandait rien.

    Mais le facteur principal de ce succès est le suivant. L'inauguration fut très fêtée et plusieurs discours furent prononcés. Elle eut lieu le premier avril 1907, lorsque Euripide avait vingt-sept ans. Le même soir, après une méditation dans sa chambre sur la campagne diffamatoire menée contre lui, l'apôtre pria et remercia Dieu pour avoir pu créer un nouvel établissement éducatif. La prière était si forte que ses vibrations atteignirent les couches très élevées de la Spiritualité. En terminant, il sentit un fort désir d'écrire. Il prit un crayon et du papier et s'assit, les paupières fermées. Il eut alors une vision : une lumière éclatante descendait du ciel vers sa petite chambre2. Euripide laissa le crayon glisser sur le papier. Le message était de Marie, mère de Jésus, qui lui conseillait de faire face à ses opposants avec beaucoup d'amour pour pouvoir les vaincre. L'esprit sublime lui suggéra alors d'appeler l'établissement COLLEGE ALLAN KARDEC (le collège était une promesse d'Euripide avant sa réincarnation). Le lendemain, l'apôtre fit graver le nom de l'établissement sur une plaque de métal qu'il fixa à l'entrée du bâtiment3. Ce fut le premier collège déclaré spirite au monde !

    Elèves masculins du Collège Allan Kardec. Parmi les professeurs assis, on distingue Euripide Barsanulfo.

    L'orientation pédagogique d'Euripide était inspirée de la pédagogie de Pestalozzi4. Le professeur de Sacramento était l'ami de ses élèves qui le respectaient. Il n'imposait jamais de punition. Il ne se limitait pas à l'instruction, car le but principal de l'éducation était, selon lui, de forger chez l'homme un caractère vertueux et d'éveiller son sentiment religieux. En d'autres termes, l'éducation ne visait pas uniquement l'accumulation de connaissances, mais elle devait également amener l'élève sur le chemin du bien. Dans ce but, Euripide fonda "l'Association des Petits Amis des Pauvres" parmi les élèves de son collège, qui organisaient les samedis des ventes aux enchères de ce qu'ils avaient obtenu de leurs parents ou amis : vêtements, livres d'occasion, fruits, objets, etc.. Avec l'argent obtenu chaque semaine, Euripide et les jeunes responsables de l'association bienfaisante achetaient des produits alimentaires et les distribuaient aux pauvres. De plus, le maître, avec sagesse et amour, chargeait les élèves des cours moyen et supérieur de s'occuper, le soir, des malades les plus pauvres, vieux et abandonnés dans des chaumières déplorables. Chacun à son tour, les élèves leur donnaient le médicament à l'heure exacte, etc.. Autre point commun avec la méthode de Pestalozzi : L'apôtre de Sacramento aimait donner les cours en feuilletant le Livre de la Nature. Les connaissances d'astronomie, par exemple, étaient prodiguées aux élèves en contemplant le ciel. José Vieira, ancien élève du Collège Allan Kardec, me rapporta qu'en 1910, la comète de Halley (qui apparaît tous les soixante-quinze ans) apparut dans le ciel de Sacramento avec sa queue lumineuse impressionnante longue de millions de kilomètres. Chaque soir où la comète était visible, Euripide, entouré par ses élèves des cours moyen et supérieur, donnait des cours magistraux d'astronomie en plein air.

    De même, Euripide emmenait fréquemment ses élèves dans la nature et leur transmettait des connaissances de botanique ou de zoologie. Il prenait alors une plante ou un insecte et les classifiait, en profitant de l'occasion pour parler de Dieu.

    Cette pédagogie dynamique servait aussi aux cours sur l'évangile qu'il donnait aux enfants. Euripide faisait un exposé et les élèves commentaient. Cette méthode, fixait les connaissances spirituelles dans la mémoire et mettait les enfants à l'aise.

    Evidemment, avec une méthode d'éducation si avancée, le Collège Allan Kardec gagna très vite du respect, malgré son jeune directeur spirite. Sa réputation grandissait, et il accueillait des élèves d'autres villes : Uberaba, Franca, Ribeirao Preto...

    Aspect du bâtiment du Collège Allan Kardec en 1922, après sa réforme.

    L'enseignement était si efficace qu'Euripide permettait, lors des examens finaux, que des visiteurs interrogent ses élèves sur un sujet tiré au sort (les papiers numérotés correspondant aux sujets étaient placés dans son chapeau melon). Parfois, les questions étaient formulées dans l'intention de démoraliser le collège... L'ancien élève Antenor Germano da Silva me rapporta l'épisode suivant qui est une bonne illustration :

    Le jour de l'examen, plusieurs personnes inhabituelles étaient venues. Le salon était plein. L'examen portait sur les "Sciences Naturelles". Le sujet tiré au sort avait été "l'anatomie du corps humain". Euripide a posé plusieurs questions aux élèves. Les réponses étaient correctes, car à la fin de l'examen oral, il a dit en nous regardant :

    - C'est bien. Je donne la parole aux visiteurs.

    Un homme arrogant, avec une bague de docteur au doigt, s'est levé aussitôt et a dit :

    - J'aimerais questionner la classe.

    - Je vous en prie, répondit Euripide.

    Puis, l'inconnu a demandé à mon camarade Antonio Pinto Valada de parler de la petite et la grande circulation du sang. Antonio a répondu brillamment. L'inconnu l'a félicité froidement, puis a demandé à une élève de parler de la respiration. Elle lui a donné satisfaction. Ensuite, il m'a appelé au pupitre et m'a demandé de parler des muscles du corps humain. J'ai répondu ce que j'en savais. Insatisfait, il m'a ensuite demandé de parler de la composition chimique du sang.

    - Bien sûr, ai-je répondu sans vraiment comprendre pourquoi il insistait avec moi.

    J'ai dit ce que je savais à ce sujet. Les bras croisés, il m'a écouté avec attention, et a dit :

    - Eh bien ! Je ne suis pas d'accord avec vous...

    Puis, il a posé la même question à Antonio, qui a répété exactement ce que j'avais dit. L'inconnu, pensif, a répété qu'il n'était pas d'accord. L'élève Niconedes Pinto, interrogée à son tour, a répété ce que nous avions dit. J'ai alors regardé la tête du maître Euripide Barsanulfo : il souriait et avait l'air satisfait... Puis, l'inconnu a dit à Euripide :

    - Je ne suis pas d'accord avec la définition donnée par ces jeunes.

    - Moi, je suis tout à fait d'accord avec mes élèves, répondit Euripide.

    Ne pouvant résister, et sans demander la permission, je suis allé prendre l'abrégé de Sciences Naturelles sur la table d'Euripide. En l'ouvrant à la page traitant de la question, je l'ai montré à l'inconnu en ajoutant :

    - Regardez, docteur ! Voici la composition du sang, qui correspond à ce que tous mes collègues ont répondu !

    Euripide Barsanulfo a déclaré que l'examen était terminé.

    Cinq inspecteurs de l'enseignement, représentant les autorités officielles, visitaient périodiquement le collège osant porter le nom "d'Allan Kardec". Voici le rapport d'Ernesto de Melo Brandao du 29 Avril 1913 :

    J'ai visité ce jour le Collège Allan Kardec dirigé par le professeur Euripide Barsanulfo, compétent et dévoué. 94 élèves étaient présents sur les 113 actuellement inscrits. J'ai observé les activités scolaires et ai vérifié que la méthode d'enseignement adoptée est rationnelle, les élèves assimilant bien toutes les disciplines enseignées. Ce collège a une excellente réputation dans la ville, par la bonne discipline, et aussi par le dévouement désintéressé de son directeur et ses collaborateurs. Je tiens à les féliciter dans ces lignes pour les bons résultats qu'ils obtiennent, et à les remercier pour la gentillesse avec laquelle ils m'ont reçu dans leur établissement scolaire.

    Le Collège Allan Kardec, protégé par le monde spirituel, "avait une excellente réputation dans la ville", selon l'affirmation opportune de l'inspecteur scolaire. Mais avec l'arrivée des élèves d'autres villes, l'immeuble devint étroit : Angelino Pereira de Almeida et Cosme Martins de Oliveira se chargèrent de la construction d'une grande salle. Cet aménagement ne résolut pas le problème : le nombre d'élèves continuait à augmenter... Les inscriptions ne duraient qu'un jour, et des dizaines d'élèves n'avaient pas accès aux études ! Il fallait donc construire un nouveau bâtiment. Une commission d'organisation fut formée par le commissaire Randolfo Rocha (président), Manoel Correa (administrateur du chantier), le major Ataliba José da Cunha (procureur), Francisco Ramos Jordao, Mariquinha Peiró et le dentiste Lindolfo Fernandes.

    La ville se réjouit de la nouvelle, bien que le Collège Allan Kardec enseignât le Spiritisme... Plusieurs personnes offrirent spontanément leurs services, une souscription populaire circula. Le premier don fut celui de Mme Mariquinha Peiró : elle offrait toute la chaux nécessaire. Le nouvel immeuble était conçu pour deux cent dix élèves ! Mais Euripide se désincarna avant l'achèvement de l'oeuvre...


    1 Avec l'augmentation du nombre d'élèves, d'autres professeurs arrivèrent. Les meilleurs élèves du cours supérieur aidaient Euripide, comme Tomaz Novelino, qui allait devenir médecin à Franca et qui avait rendu de remarquables services à la cause Spirite dans le domaine de la pédagogie.


    2 Longtemps après la désincarnation d'Euripide, la maison de monsieur Mogico a été démolie. La chambre du médium a été reconstruite à la demande de sa nièce, la poétesse Heigorina Cunha, au bout de la rue Rui Barbosa : les mêmes briques, le même plancher, les mêmes dimensions. Un acte d'amour.


    3 Témoignage d'Edalides Milan Rezende et Homilton Wilson, frères d'Euripide.


    4 Henri Pestalozzi est le fondateur de l'éducation populaire moderne et de la pédagogie sociale. Il fut professeur d'Allan Kardec à Yverdun en Suisse.