DEUXIEME ENTRETIEN. - LE SCEPTIQUE.
Le Visiteur. - Je comprends, Monsieur, l'utilité de l'étude préalable dont vous venez de parler. Comme prédisposition personnelle, je ne suis ni pour ni contre le spiritisme, mais que le sujet, par lui-même, excite au plus haut point mon intérêt. Dans le cercle de mes connaissances se trouvent des partisans, mais aussi des adversaires ; j'ai entendu à cet égard des arguments très contradictoires ; je me proposais de vous soumettre quelques-unes des objections qui ont été faites en ma présence, et qui me semblent avoir une certaine valeur, pour moi du moins qui confesse mon ignorance.
Allan Kardec. - Je me fais un plaisir, Monsieur, de
répondre aux questions que l'on veut bien m'adresser, quand
elles sont faites avec sincérité et sans arrière-pensée, sans
me flatter, cependant, de pouvoir les résoudre toutes. Le
spiritisme est une science qui vient de naître et où il y a
encore bien à apprendre ; il serait donc par trop présomptueux
à moi de prétendre lever toutes les difficultés : je ne puis
dire que ce que je sais.
Le spiritisme touche à toutes les branches de la philosophie, de
la métaphysique, de la psychologie et de la morale ; c'est un
champ immense qui ne peut être parcouru en quelques heures. Or
vous comprenez, Monsieur, qu'il me serait matériellement
impossible de répéter de vive voix et à chacun en particulier
tout ce que j'ai écrit sur ce sujet à l'usage de tout le monde.
Dans une lecture sérieuse préalable on trouvera, d'ailleurs, la
réponse à la plupart des questions qui viennent naturellement
à la pensée ; elle a le double avantage d'éviter des
répétitions inutiles, et de prouver un désir sérieux de
s'instruire. Si, après cela, il reste encore des doutes ou des
points obscurs, l'explication en devient plus facile, parce qu'on
s'appuie sur quelque chose, et l'on ne perd pas son temps à
revenir sur les principes les plus élémentaires. Si vous le
permettez, nous nous bornerons donc, jusqu'à nouvel ordre, à
quelques questions générales.
Le Visiteur. - Soit ; veuillez, je vous prie, me rappeler à l'ordre si je m'en écarte.
Je vous demanderai d'abord quelle nécessité il y avait de créer les mots nouveaux de spirite, spiritisme pour remplacer ceux de spiritualisme, spiritualiste qui sont dans la langue vulgaire et compris de tout le monde ? J'entendais quelqu'un traiter ces mots de barbarismes.
A. K. - Le mot spiritualiste a depuis longtemps une
acception bien déterminée ; c'est l'Académie qui nous la donne
: SPIRITUALISTE, celui ou celle dont la doctrine est opposée
au matérialisme. Toutes les religions sont nécessairement
fondées sur le spiritualisme. Quiconque croit qu'il y a en nous
autre chose que de la matière est spiritualiste, ce qui
n'implique pas la croyance aux Esprits et à leurs
manifestations. Comment le distinguerez-vous de celui qui y croit
? Il faudra donc employer une périphrase et dire : C'est un
spiritualiste qui croit ou ne croit pas aux Esprits. Pour les
choses nouvelles, il faut des mots nouveaux, si l'on veut éviter
les équivoques. Si j'avais donné à ma REVUE la qualification
de Spiritualiste, je n'en aurais nullement spécifié
l'objet, car, sans faillir à mon titre, j'aurais pu ne pas dire
un mot des Esprits et même les combattre. Je lisais il y a
quelque temps dans un journal, à propos d'un ouvrage de
philosophie, un article où il était dit que l'auteur l'avait
écrit au point de vue spiritualiste ; or, les partisans
des Esprits auraient été singulièrement désappointés si, sur
la foi de cette indication, ils avaient cru y trouver la moindre
concordance avec leurs idées. Si donc j'ai adopté les mots Spirite,
Spiritisme, c'est parce qu'ils expriment sans équivoque
les idées relatives aux Esprits. Tout spirite est
nécessairement spiritualiste, mais il s'en faut que
tous les spiritualistes soient spirites. Les
Esprits seraient une chimère qu'il serait encore utile d'avoir
des termes spéciaux pour ce qui les concerne, car il faut des
mots pour les idées fausses comme pour les idées vraies.
Ces mots d'ailleurs ne sont pas plus barbares que tous ceux que
les sciences, les arts et l'industrie créent chaque jour ; ils
ne le sont assurément pas plus que ceux que Gall a imaginés
pour sa nomenclature des facultés, tels que : Secrétivité,
amativité, combativité, alimentivité, affectionivité,
etc.. Il y a des gens qui, par esprit de contradiction,
critiquent tout ce qui ne vient pas d'eux, et veulent se donner
un air d'opposition ; ceux qui soulèvent d'aussi misérables
chicanes ne prouvent qu'une chose, c'est la petitesse de leurs
idées. S'attaquer à des bagatelles semblables, c'est prouver
qu'on est à court de bonnes raisons.
Spiritualisme, spiritualiste sont des mots
anglais employés aux Etats-Unis dès le début des
manifestations : on s'en est d'abord servi quelque temps en
France ; mais, dès que parurent ceux de spirite, spiritisme,
on en comprit si bien l'utilité qu'ils furent immédiatement
acceptés par le public. Aujourd'hui l'usage en est tellement
consacré, que les adversaires eux-mêmes, ceux qui, les
premiers, ont crié au barbarisme, n'en emploient pas d'autres.
Les sermons et les mandements qui fulminent contre le spiritisme
et les spirites, n'auraient pu, sans porter la confusion
dans les idées, jeter l'anathème au spiritualisme et
aux spiritualistes.
Barbares ou non, ces mots sont désormais passés dans la langue
usuelle et dans toutes les langues de l'Europe ; ce sont les
seuls employés dans toutes les publications pour ou contre
faites dans tous les pays. Ils ont formé la tête de colonne de
la nomenclature de la nouvelle science ; pour exprimer les
phénomènes spéciaux de cette science, il fallait des termes
spéciaux ; le spiritisme a désormais sa nomenclature, comme la
chimie a la sienne1.
Le Visiteur. - Cette diversité dans la croyance de ce que vous appelez une science en est, ce me semble, la condamnation. Si cette science reposait sur des faits positifs, ne devrait-elle pas être la même en Amérique et en Europe ?
A. K. - A cela je répondrai d'abord que cette
dissidence est plus dans la forme que dans le fond ; elle ne
consiste, en réalité, que dans la manière d'envisager quelques
points de la doctrine, mais ne constitue pas un antagonisme
radical dans les principes, comme affectent de le dire nos
adversaires sans avoir étudié la question.
Mais dites-moi, quelle est la science qui, à son début, n'a
soulevé des dissidences jusqu'à ce que les principes en fussent
clairement établis ? Ces dissidences n'existent-elles pas encore
aujourd'hui dans les sciences les mieux constituées ? Tous les
savants sont-ils d'accord sur le même point ? N'ont-ils pas
leurs systèmes particuliers ? Les séances de l'Institut
présentent-elles toujours le tableau d'une parfaite entente
cordiale ? En médecine n'y a-t-il pas l'Ecole de Paris et celle
de Montpellier ? Chaque découverte dans une science n'est-elle
pas l'occasion d'un schisme entre ceux qui veulent aller en avant
et ceux qui veulent rester en arrière ?
En ce qui concerne le spiritisme, n'est-il pas naturel qu'à
l'apparition des premiers phénomènes, alors qu'on ignorait les
lois qui les régissent, chacun ait donné son système et les
ait envisagés à sa manière ? Que sont devenus tous ces
systèmes primitifs isolés ? Ils sont tombés devant une
observation plus complète des faits. Quelques années ont suffi
pour établir l'unité grandiose qui prévaut aujourd'hui dans la
doctrine et qui rallie l'immense majorité des adeptes, sauf
quelques individualités qui, ici comme en toutes choses, se
cramponnent aux idées primitives et meurent avec elles. Quelle
est la science, quelle est la doctrine philosophique ou
religieuse qui offre un pareil exemple ? Le spiritisme a-t-il
jamais présenté la centième partie des divisions qui ont
déchiré l'Eglise pendant plusieurs siècles et qui la divisent
encore aujourd'hui ?
Il est curieux vraiment de voir les puérilités auxquelles
s'attachent les adversaires du spiritisme ; cela n'indique-t-il
pas la pénurie de raisons sérieuses ? S'ils en avaient, ils ne
manqueraient pas de les faire valoir. Que lui opposent-ils ? Des
railleries, des dénégations, des calomnies ; mais des arguments
péremptoires, aucun ; et la preuve qu'on ne lui a point encore
trouvé de côté vulnérable, c'est que rien n'a arrêté sa
marche ascendante et qu'après dix ans il compte plus d'adeptes
que n'en a jamais compté aucune secte après un siècle. Ceci
est un fait acquis à l'expérience et reconnu même par ses
adversaires. Pour le ruiner, il ne suffisait pas de dire : cela
n'est pas, cela est absurde ; il fallait prouver catégoriquement
que les phénomènes n'existent pas, ne peuvent pas exister ;
c'est ce que personne n'a fait.
Le Visiteur. - N'a-t-on pas prouvé qu'en dehors du spiritisme on pouvait produire ces mêmes phénomènes ? D'où l'on peut conclure qu'ils n'ont pas l'origine que leur attribuent les spirites.
A. K. - De ce qu'on peut imiter une chose, s'en
suit-il que la chose n'existe pas ? Que diriez-vous de la logique
de celui qui prétendrait que, parce qu'on fait du vin de
Champagne avec de l'eau de Seltz, tout le vin de Champagne n'est
que de l'eau de Seltz ? C'est le privilège de toutes les choses
qui ont du retentissement d'engendrer des contrefaçons. Des
prestidigitateurs ont pensé que le nom de spiritisme, à cause
de sa popularité et des controverses dont il était l'objet,
pouvait être bon à exploiter, et, pour attirer la foule, ils
ont simulé, plus ou moins grossièrement, quelques phénomènes
de médianimité, comme naguère ils ont simulé la clairvoyance
somnambulique, et tous les railleurs d'applaudir en s'écriant :
Voilà ce que c'est que le spiritisme ! Lorsque a paru
l'ingénieuse production des spectres sur la scène, n'ont-ils
pas proclamé partout que c'était son coup de grâce ? Avant de
prononcer un arrêt aussi positif, ils auraient dû réfléchir
que les assertions d'un escamoteur ne sont pas des paroles
d'Evangile, et s'assurer s'il y avait identité réelle entre
l'imitation et la chose imitée. Il n'est personne qui achète un
brillant avant de s'assurer si ce n'est pas du strass. Une étude
quelque peu sérieuse les eût convaincus que les phénomènes
spirites se présentent dans de tout autres conditions ; ils
auraient su, de plus, que les spirites ne s'occupent ni de faire
apparaître des spectres, ni de dire la bonne aventure.
La malveillance et une insigne mauvaise foi ont seules pu
assimiler le spiritisme à la magie et à la sorcellerie,
puisqu'il en répudie le but, les pratiques, les formules et les
paroles mystiques. Il en est même qui n'ont pas craint de
comparer les réunions spirites aux assemblées du sabbat où
l'on attend l'heure fatale de minuit pour faire apparaître les
fantômes.
Un spirite de mes amis se trouvait un jour, à une
représentation de Macbeth, à côté d'un journaliste qu'il ne
connaissait pas. Lorsque vint la scène des sorcières, il
entendit ce dernier dire à son voisin : «Tiens ! nous allons
assister à une séance de spiritisme ; c'est justement ce qu'il
me faut pour mon prochain article ; je vais savoir comment les
choses se passent. S'il y avait ici un de ces fous, je lui
demanderais s'il se reconnaît dans ce tableau.» - «Je suis un
de ces fous, lui dit le spirite, et je puis vous certifier que je
ne m'y reconnais pas du tout, car, bien que j'aie assisté à des
centaines de réunions spirites, je n'y ai jamais rien vu de
semblable. Si c'est là où vous venez puiser les renseignements
pour votre article, il ne brillera pas par la vérité.»
Beaucoup de critiques n'ont pas de base plus sérieuse. Sur qui
tombe le ridicule, si ce n'est sur ceux qui s'avancent aussi
étourdiment ? Quant au spiritisme, son crédit, loin d'en
souffrir, s'en est accru par le retentissement que toutes ces
manoeuvres lui ont donné, en appelant l'attention d'une foule de
gens qui n'en avaient point entendu parler ; elles ont provoqué
l'examen et augmenté le nombre des adeptes, parce qu'on a
reconnu qu'au lieu d'une plaisanterie, c'était une chose
sérieuse.
Le Visiteur. - Je conviens que parmi les détracteurs du spiritisme il y a des gens inconséquents comme celui dont vous venez de parler ; mais, à côté de ceux-là, n'y a-t-il pas des hommes d'une valeur réelle et dont l'opinion est d'un certain poids ?
A. K. - Je ne le conteste nullement. A cela je
réponds que le spiritisme compte aussi dans ses rangs bon nombre
d'hommes d'une valeur non moins réelle ; je dis plus, c'est que
l'immense majorité des spirites se compose d'hommes
d'intelligence et d'étude ; la mauvaise foi seule peut dire
qu'il se recrute parmi les bonnes femmes et les ignorants.
Un fait péremptoire répond, d'ailleurs, à cette objection :
c'est que, malgré leur savoir ou leur position officielle, aucun
n'a réussi à arrêter la marche du spiritisme ; et pourtant il
n'en est pas un, depuis le plus mince feuilletoniste, qui ne se
soit flatté de lui porter le coup mortel ; que tous, sans
exception, ont aidé, sans le vouloir, à le vulgariser. Une
idée qui résiste à tant d'efforts, qui s'avance sans broncher
à travers la grêle de traits qu'on lui lance, ne prouve-t-elle
pas sa force et la profondeur de ses racines ? Ce phénomène ne
mérite-t-il pas l'attention des penseurs sérieux ? Aussi plus
d'un se dit-il aujourd'hui qu'il doit y avoir là quelque chose
peut-être un de ces grands mouvements irrésistibles qui, de
temps à autre, remuent les sociétés pour les transformer.
Ainsi en a-t-il toujours été de toutes les idées nouvelles
appelées à révolutionner le monde ; elles rencontrent des
obstacles, parce qu'elles ont à lutter contre les intérêts,
les préjugés, les abus qu'elles viennent renverser ; mais comme
elles sont dans les desseins de Dieu pour accomplir la loi du
progrès de l'humanité, quand l'heure est venue, rien ne saurait
les arrêter ; c'est la preuve qu'elles sont l'expression de la
vérité.
Cette impuissance des adversaires du spiritisme prouve d'abord,
comme je l'ai dit, l'absence de bonnes raisons, puisque celles
qu'ils lui opposent ne convainquent pas ; mais elle tient à une
autre cause qui déjoue toutes leurs combinaisons. Ils
s'étonnent de son envahissement malgré tout ce qu'ils font pour
l'arrêter ; aucun n'en trouve la cause, parce qu'ils la
cherchent là où elle n'est pas. Les uns la voient dans la
grande puissance du diable qui se montrerait ainsi plus fort
qu'eux et même que Dieu, les autres dans l'accroissement de la
folie humaine. L'erreur de tous est de croire que la source du
spiritisme est unique et qu'elle repose sur l'opinion d'un homme
; de là l'idée qu'en ruinant l'opinion de cet homme ils
ruineront le spiritisme ; ils cherchent cette source sur la terre
tandis qu'elle est dans l'espace ; elle n'est pas sur un point,
elle est partout, parce que les Esprits se manifestent partout,
dans tous les pays, au palais comme à la chaumière. La
véritable cause est donc dans la nature même du spiritisme qui
ne reçoit pas son impulsion d'un seul, mais qui permet à chacun
de recevoir directement des communications des Esprits et de
s'assurer ainsi de la réalité des faits. Comment persuader à
des millions d'individus que tout cela n'est que jonglerie,
charlatanisme, escamotage, tours d'adresse, quand ce sont
eux-mêmes qui obtiennent ces résultats, sans le concours de
personne ? Leur fera-t-on croire qu'ils sont leurs propres
compères et font du charlatanisme ou de l'escamotage pour eux
tout seuls ?
Cette universalité des manifestations des Esprits qui viennent,
sur tous les points du globe, donner un démenti aux
détracteurs, et confirmer les principes de la doctrine, est une
force que ne peuvent pas plus comprendre ceux qui ne connaissent
pas le monde invisible, que ceux qui ne connaissent pas la loi de
l'électricité ne peuvent comprendre la rapidité de la
transmission d'une dépêche ; c'est contre cette force que
viennent se briser toutes les dénégations, car c'est absolument
comme si l'on disait à des gens qui reçoivent les rayons du
soleil que le soleil n'existe pas.
Abstraction faite des qualités de la doctrine qui plaît plus
que celles qu'on lui oppose, là est la cause des échecs que
reçoivent ceux qui tentent d'en arrêter la marche ; pour
réussir, il leur faudrait trouver le moyen d'empêcher les
Esprits de se manifester. Voilà pourquoi les spirites prennent
si peu de souci de leurs manoeuvres ; ils ont pour eux
l'expérience et l'autorité des faits.
LE MERVEILLEUX ET LE SURNATUREL
Le Visiteur. - Le spiritisme tend évidemment à faire revivre les croyances fondées sur le merveilleux et le surnaturel ; or, dans notre siècle positif, cela me paraît difficile, car c'est accréditer les superstitions et les erreurs populaires dont la raison fait justice.
A. K. - Une idée n'est superstitieuse que parce qu'elle est
fausse ; elle cesse de l'être du moment qu'elle est reconnue
vraie. La question est donc de savoir s'il y a ou non des
manifestations d'Esprits ; or, vous ne pouvez pas taxer la chose
de superstition tant que vous n'aurez pas prouvé qu'elle
n'existe pas. Vous direz : ma raison s'y refuse ; mais tous ceux
qui y croient, et qui ne sont pas des sots, invoquent aussi leur
raison, et de plus des faits, laquelle des deux raisons doit
l'emporter ? Le grand juge, ici, c'est l'avenir, comme il l'a
été dans toutes les questions scientifiques et industrielles
taxées d'absurdes et d'impossibles à leur origine. Vous jugez a
priori d'après votre opinion ; nous, nous ne jugeons qu'après
avoir vu et observé longtemps. Nous ajoutons que le spiritisme
éclairé, comme il l'est aujourd'hui, tend au contraire à
détruire les idées superstitieuses, parce qu'il montre ce qu'il
y a de vrai ou de faux dans les croyances populaires, et tout ce
que l'ignorance et les préjugés y ont mêlé d'absurde.
Je vais plus loin, et je dis que c'est précisément le
positivisme du siècle qui fait adopter le spiritisme, et que
c'est à lui qu'il doit en partie sa rapide propagation, et non,
comme quelques-uns le prétendent, à une recrudescence de
l'amour du merveilleux et du surnaturel. Le surnaturel disparaît
devant le flambeau de la science, de la philosophie et de la
raison, comme les dieux du paganisme ont disparu devant la
lumière du christianisme.
Le surnaturel est ce qui est en dehors des lois de la nature. Le
positivisme n'admet rien en dehors de ces lois ; mais les
connaît-il toutes ? Dans tous les temps, les phénomènes dont
la cause était inconnue ont été réputés surnaturels ; chaque
nouvelle loi découverte par la science a reculé les bornes du
surnaturel ; eh bien ! le spiritisme vient révéler une nouvelle
loi d'après laquelle la conversation avec l'Esprit d'un mort
repose sur une loi toute aussi naturelle que celle que
l'électricité permet d'établir entre deux individus à cinq
cents lieues de distance ; et ainsi de tous les autres
phénomènes spirites. Le spiritisme répudie, en ce qui le
concerne, tout effet merveilleux, c'est-à-dire en dehors des
lois de la nature ; il ne fait ni miracles ni prodiges ; mais il
explique, en vertu d'une loi, certains effets réputés jusqu'à
ce jour miracles et prodiges, et par cela même en démontre la
possibilité. Il élargit ainsi le domaine de la science, c'est
en cela qu'il est lui-même une science ; mais la découverte de
cette nouvelle loi entraînant des conséquences morales, le code
de ces conséquences en fait en même temps une doctrine
philosophique.
A ce dernier point de vue, il répond aux aspirations de l'homme
en ce qui touche l'advenir sur des bases positives et
rationnelles, c'est pour cela qu'il convient à l'Esprit positif
du siècle ; c'est ce que vous comprendrez quand vous aurez pris
la peine de l'étudier. (Livre des Médiums, chap. II. - Revue
Spirite, décembre 1861, page 393 et janvier 1862, page 21. -
Voir aussi ci-après, chap. II.)
Le Visiteur. - Vous vous appuyez, dites-vous, sur des faits ; mais on vous oppose l'opinion des savants qui les contestent, ou qui les expliquent autrement que vous. Pourquoi ne se sont-ils pas emparés du phénomène des tables tournantes ? S'ils y avaient vu quelque chose de sérieux, ils n'auraient eu garde, ce me semble, de négliger des faits aussi extraordinaires et encore moins de les repousser avec dédain, tandis qu'ils sont tous contre vous. Les savants ne sont-ils pas le flambeau des nations, et leur devoir n'est-il pas de répandre la lumière ? Pourquoi voudriez-vous qu'ils l'eussent étouffée alors qu'une si belle occasion se présentait à eux de révéler au monde une force nouvelle ?
A. K. - Vous venez de tracer là le devoir des
savants d'une manière admirable ; il est fâcheux qu'ils l'aient
oublié en plus d'une circonstance. Mais avant de répondre à
cette judicieuse observation, je dois relever une erreur grave
que vous avez commise en disant que tous les savants sont contre
nous.
Ainsi que je l'ai dit tout à l'heure, c'est précisément dans
la classe éclairée qu'il fait le plus de prosélytes, et cela
dans tous les pays du monde : il en compte un grand nombre parmi
les médecins de toutes les nations ; or, les médecins sont des
hommes de science ; les magistrats, les professeurs, les
artistes, les hommes de lettres, les officiers, les hauts
fonctionnaires, les grands dignitaires, les ecclésiastiques,
etc., qui se rangent sous sa bannière, sont tous gens auxquels
on ne peut refuser une certaine dose de lumière. Il n'y a pas de
savants que dans la science officielle et dans les corps
constitués.
De ce que le spiritisme n'a pas encore droit de cité dans la
science officielle, est-ce un motif pour le condamner ? Si la
science ne s'était jamais trompée, son opinion pourrait ici
peser dans la balance ; malheureusement l'expérience prouve le
contraire. N'a-t-elle pas repoussé comme des chimères une foule
de découvertes qui, plus tard, ont illustré la mémoire de
leurs auteurs ? N'est-ce pas à un rapport de notre premier corps
savant que la France doit d'avoir été privée de l'initiative
de la vapeur ? Lorsque Fulton vint au camp de Boulogne présenter
son système à Napoléon Ier qui en recommanda l'examen
immédiat à l'Institut, celui ci n'a-t-il pas conclu que ce
système était une rêverie impraticable et qu'il n'y avait pas
lieu de s'en occuper ? Faut-il en conclure que les membres de
l'Institut sont des ignorants ? Cela justifie-t-il les
épithètes triviales, à force de mauvais goût, que certaines
gens se plaisent à leur prodiguer ? Assurément non : il n'est
personne de sensé qui ne rende justice à leur éminent savoir
tout en reconnaissant qu'ils ne sont pas infaillibles, et
qu'ainsi leur jugement n'est pas en dernier ressort, surtout en
fait d'idées nouvelles.
Le Visiteur. - J'admets parfaitement qu'ils ne sont pas infaillibles ; mais il n'en est pas moins vrai qu'en raison de leur savoir, leur opinion compte pour quelque chose, et que si vous les aviez pour vous, cela donnerait un grand poids à votre système.
A. K. - Vous admettrez bien aussi que chacun n'est
bon juge que dans ce qui est sa compétence. Si vous voulez
bâtir une maison, prendrez-vous un musicien ? Si vous êtes
malade, vous ferez-vous soigner par un architecte ? Si vous avez
un procès, prendrez-vous l'avis d'un danseur ? Enfin, s'il
s'agit d'une question de théologie, la ferez-vous résoudre par
un chimiste ou un astronome ? Non ; chacun son métier. Les
sciences vulgaires reposent sur les propriétés de la matière
qu'on peut manipuler à son gré ; les phénomènes qu'elle
produit ont pour agents des forces matérielles. Ceux du
spiritisme ont pour agents des intelligences qui ont leur
indépendance, leur libre arbitre et ne sont point soumises à
nos caprices ; ils échappent ainsi à nos procédés de
laboratoire et à nos calculs, et, dès lors, ne sont plus du
ressort de la science proprement dite.
La science s'est donc fourvoyée quand elle a voulu expérimenter
les Esprits comme une pile voltaïque ; elle a échoué, et cela
devait être, parce qu'elle a opéré en vue d'une analogie qui
n'existe pas ; puis, sans aller plus loin, elle a conclu à la
négative : jugement téméraire que le temps se charge tous les
jours de réformer, comme il en a réformé bien d'autres, et
ceux qui l'auront prononcé en seront pour la honte de s'être
inscrits trop légèrement en faux contre la puissance infinie du
Créateur.
Les corps savants n'ont point et n'auront jamais à se prononcer
dans la question ; elle n'est pas plus de leur ressort que celle
de décréter si Dieu existe : c'est donc une erreur de les en
faire juges. Le spiritisme est une question de croyance
personnelle qui ne peut dépendre du vote d'une assemblée, car
ce vote, lui fût-il favorable, ne peut forcer les convictions.
Quand l'opinion publique se sera formée à cet égard, ils
l'accepteront comme individus, et ils subiront la force des
choses. Laissez passer une génération, et, avec elle, les
préjugés de l'amour-propre qui s'entête, et vous verrez qu'il
en sera du spiritisme comme de tant d'autres vérités que l'on a
combattues, et qu'il serait ridicule maintenant de révoquer en
doute. Aujourd'hui, ce sont les croyants qu'on traite de fous ;
demain, ce sera le tour de ceux qui ne croiront pas ; absolument
comme on traitait jadis de fous ceux qui croyaient que la terre
tourne.
Mais tous les savants n'ont pas jugé de même, et, par savants,
j'entends les hommes d'étude et de science, avec ou sans titre
officiel. Beaucoup ont fait le raisonnement suivant :
«Il n'y a pas d'effet sans cause, et les effets les plus
vulgaires peuvent mener sur la voie des plus grands problèmes.
Si Newton eût méprisé la chute d'une pomme ; si Galvani eût
rebuté sa servante en la traitant de folle et de visionnaire
quand elle lui parla des grenouilles qui dansaient dans le plat,
peut-être en serions-nous encore à trouver l'admirable loi de
la gravitation universelle, et les fécondes propriétés de la
pile*. Le phénomène qu'on désigne sous le nom burlesque de
danse des tables, n'est pas plus ridicule que celui de la danse
des grenouilles, et il renferme peut-être aussi quelques-uns de
ces secrets de la nature qui font révolution dans l'humanité
quand on en a la clef.»
Ils se sont dit en outre : «Puisque tant de gens s'en occupent,
puisque des hommes sérieux en ont fait une étude, il faut qu'il
y ait quelque chose ; une illusion, une tocade, si l'on veut, ne
peut avoir ce caractère de généralité ; elle peut séduire un
cercle, une coterie, mais elle ne fait pas le tour du monde.
Gardons-nous donc de nier la possibilité de ce que nous ne
comprenons pas de peur de recevoir tôt ou tard un démenti qui
ne ferait pas l'éloge de notre perspicacité.»
Le Visiteur. - Très bien ; voilà un savant qui raisonne avec sagesse et prudence, et, sans être savant, je pense comme lui ; mais remarquez qu'il n'affirme rien : il doute ; or, sur quoi baser la croyance à l'existence des Esprits, et surtout à la possibilité de communiquer avec eux ?
A. K. - Cette croyance s'appuie sur le raisonnement
et sur les faits. Je ne l'ai moi-même adoptée qu'après mûr
examen. Ayant puisé dans l'étude des sciences exactes
l'habitude des choses positives, j'ai sondé, scruté cette
science nouvelle dans ses replis les plus cachés ; j'ai voulu me
rendre compte de tout, car je n'accepte une idée que lorsque
j'en sais le pourquoi et le comment. Voici le raisonnement que me
faisait un savant médecin jadis incrédule, et aujourd'hui
adepte fervent.
«On dit que des êtres invisibles se communiquent ; et pourquoi
pas ? Avant l'invention du microscope, soupçonnait-on
l'existence de ces milliards d'animalcules qui causent tant de
ravages dans l'économie ? Où est l'impossibilité matérielle
qu'il y ait dans l'espace des êtres qui échappent à nos sens ?
Aurions-nous par hasard la ridicule prétention de tout savoir et
de dire à Dieu qu'il ne peut pas nous en apprendre davantage ?
Si ces êtres invisibles qui nous entourent sont intelligents,
pourquoi ne se communiqueraient-ils pas à nous ? S'ils sont en
relation avec les hommes, ils doivent jouer un rôle dans la
destinée, dans les événements. Qui sait ? c'est peut être une
des puissances de la nature ; une de ces forces occultes que nous
ne soupçonnions pas. Quel nouvel horizon cela ouvrirait à la
pensée ! Quel vaste champ d'observation ! La découverte du
monde des invisibles serait bien autre chose que celle des
infiniment petits ; ce serait plus qu'une découverte, ce serait
une révolution dans les idées. Quelle lumière peut en jaillir
! que de choses mystérieuses expliquées ! Ceux qui y croient
sont tournés en ridicule ; mais qu'est-ce que cela prouve ? N'en
a-t-il pas été de même de toutes les grandes découvertes ?
Christophe Colomb n'a-t-il pas été rebuté, abreuvé de
dégoûts, traité en insensé ? Ces idées, dit-on, sont si
étranges qu'on ne peut pas y croire ; mais à celui qui eût
dit, il y a seulement un demi-siècle, qu'en quelques minutes, on
correspondrait, d'un bout du monde à l'autre ; qu'en quelques
heures on traverserait la France ; qu'avec la fumée d'un peu
d'eau bouillante, un navire marcherait vent debout ; qu'on
tirerait de l'eau les moyens de s'éclairer et de se chauffer ;
qui aurait proposé d'éclairer tout Paris en un instant avec un
seul réservoir d'une substance invisible, on lui aurait ri au
nez. Est-ce donc une chose plus prodigieuse que l'espace soit
peuplé d'êtres pensants qui, après avoir vécu sur la terre,
ont quitté leur enveloppe matérielle ? Ne trouve-t-on pas dans
ce fait l'explication d'une foule de croyances qui remontent à
la plus haute antiquité ? De pareilles choses valent bien la
peine d'être approfondies.»
Voilà les réflexions d'un savant, mais d'un savant sans
prétention ; ce sont aussi celles d'une foule d'hommes
éclairés ; ils ont vu, non superficiellement et d'un oeil
prévenu ; ils ont étudié sérieusement et sans parti pris ;
ils ont eu la modestie de ne pas dire : Je ne comprends pas, donc
cela n'est pas ; leur conviction s'est formée par l'observation
et le raisonnement. Si ces idées eussent été des chimères,
pensez-vous que tous ces hommes d'élite les eussent adoptées ?
qu'ils aient pu être longtemps dupes d'une illusion ?
Il n'y a donc point impossibilité matérielle à ce qu'il existe
des êtres invisibles pour nous et peuplant l'espace, et cette
considération seule devrait engager à plus de circonspection.
Naguère, qui eût jamais pensé qu'une goutte d'eau limpide pût
renfermer des milliers d'êtres d'une petitesse qui confond notre
imagination ? Or, je dis qu'il était plus difficile à la raison
de concevoir des êtres d'une telle ténuité, pourvus de tous
nos organes et fonctionnant comme nous, que d'admettre ceux que
nous nommons Esprits.
Le Visiteur. - Sans doute, mais de ce qu'une chose est possible, il ne s'ensuit pas qu'elle existe.
A. K. - D'accord ; mais vous conviendrez que du
moment qu'elle n'est pas impossible, c'est déjà un grand point,
car elle n'a plus rien qui répugne à la raison. Reste donc à
la constater par l'observation des faits. Cette observation n'est
pas nouvelle : l'histoire, tant sacrée que profane, prouve
l'ancienneté et l'universalité de cette croyance, qui s'est
perpétuée à travers toutes les vicissitudes du monde, et se
retrouve chez les peuples les plus sauvages à l'état d'idées
innées et intuitives, gravées dans la pensée, comme celle de
l'Etre suprême et de l'existence future. Le spiritisme n'est
donc pas de création moderne, tant s'en faut ; tout prouve que
les Anciens le connaissaient aussi bien, et peut-être mieux que
nous ; seulement, il n'était enseigné qu'avec des précautions
mystérieuses qui le rendaient inaccessible au vulgaire, laissé
à dessein dans le bourbier de la superstition.
Quant aux faits, ils sont de deux natures : les uns sont
spontanés et les autres provoqués. Parmi les premiers, il faut
ranger les visions et apparitions, qui sont très fréquentes ;
les bruits, tapages et perturbations d'objets sans cause
matérielle, et une foule d'effets insolites que l'on regardait
comme surnaturels, et qui aujourd'hui nous paraissent tout
simples, car, pour nous il n'y a rien de surnaturel, puisque tout
rentre dans les lois immuables de la nature. Les faits provoqués
sont ceux que l'on obtient par l'intermédiaire des médiums.
FAUSSES EXPLICATIONS DES PHENOMENES
Hallucination. - Fluide magnétique. - Reflet
de la pensée.
Surexcitation cérébrale. - Etat somnambulique des médiums.
Le Visiteur. - C'est contre les phénomènes provoqués que s'exerce surtout la critique. Mettons de côté toute supposition de charlatanisme, et admettons une entière bonne foi ; ne pourrait-on pas penser qu'ils sont eux-mêmes le jouet d'une hallucination ?
A. K. - Je ne sache pas qu'on ait encore clairement expliqué le mécanisme de l'hallucination. Telle qu'on l'entend, c'est pourtant un effet fort singulier et bien digne d'étude. Comment donc ceux qui prétendent rendre compte, par là, des phénomènes spirites, ne peuvent-ils expliquer leur explication ? Il est d'ailleurs des faits qui écartent cette hypothèse : quand une table ou un autre objet se meut, se soulève, frappe ; quand elle se promène à volonté dans une chambre sans le contact de personne ; quand elle se détache du sol et se soutient dans l'espace sans point d'appui ; enfin, quand elle se brise en retombant, ce n'est certes pas une hallucination. En supposant que le médium, par un effet de son imagination, croie voir ce qui n'existe pas ; est-il probable que toute une société soit prise du même vertige ? que cela se répète de tous côtés, dans tous les pays ? L'hallucination, dans ce cas, serait plus prodigieuse que le fait.
Le Visiteur. - En admettant la réalité du phénomène des tables tournantes et frappantes, n'est-il pas plus rationnel de l'attribuer à l'action d'un fluide quelconque, du fluide magnétique, par exemple ?
A. K. - Telle a été la première pensée, et je l'ai eue comme tant d'autres. Si les effets se fussent bornés à des effets matériels, nul doute qu'on pourrait les expliquer ainsi ; mais quand ces mouvements et ces coups ont donné des preuves d'intelligence ; quand on a reconnu qu'ils répondaient à la pensée avec une entière liberté, on en a tiré cette conséquence que : Si tout effet a une cause, tout effet intelligent a une cause intelligente. Est-ce là l'effet d'un fluide, à moins de dire que ce fluide est intelligent ? Quand vous voyez les bras du télégraphe faire des signaux qui transmettent la pensée, vous savez bien que ce ne sont pas ces bras de bois ou de fer qui sont intelligents, mais vous dites qu'une intelligence les fait mouvoir. Il en est de même de la table. Y a-t-il, oui ou non, des effets intelligents ? Là est la question. Ceux qui le contestent sont des personnes qui n'ont point tout vu et qui se hâtent de conclure d'après leurs propres idées et sur une observation superficielle.
Le Visiteur. - A cela on répond que s'il y a un effet intelligent, ce n'est autre chose que la propre intelligence, soit du médium, soit de l'interrogateur, soit des assistants ; car, dit-on, la réponse est toujours dans la pensée de quelqu'un.
A. K. - C'est encore là une erreur, suite d'un
défaut d'observation. Si ceux qui pensent ainsi s'étaient
donné la peine d'étudier le phénomène dans toutes ses phases,
ils auraient à chaque pas reconnu l'indépendance absolue de
l'intelligence qui se manifeste. Comment cette thèse
pourrait-elle se concilier avec des réponses qui sont en dehors
de la portée intellectuelle et de l'instruction du médium ? qui
contredisent ses idées, ses désirs, ses opinions, ou qui
déroutent complètement les prévisions des assistants ? de
médiums qui écrivent dans une langue qu'ils ne connaissent pas,
ou dans leur propre langue quand ils ne savent ni lire ni écrire
? Cette opinion, à première vue, n'a rien d'irrationnel, j'en
conviens, mais elle est démentie par des faits tellement
nombreux et tellement concluants, que le doute n'est plus
possible.
Du reste, en admettant même cette théorie, le phénomène, loin
d'être simplifié, serait bien autrement prodigieux. Eh quoi !
la pensée se réfléchirait sur une surface comme la lumière,
le son, le calorique ? En vérité, il y aurait là de quoi
exercer la sagacité de la science. Et puis, ce qui ajouterait
encore au merveilleux, c'est que, sur vingt personnes réunies,
ce serait précisément la pensée de telle ou telle qui serait
réfléchie, et non la pensée de telle autre. Un pareil système
est insoutenable. Il est vraiment curieux de voir les
contradicteurs s'ingénier à chercher des causes cent fois plus
extraordinaires et difficiles à comprendre que celles qu'on leur
donne.
Le Visiteur. - Ne pourrait-on pas admettre, selon l'opinion de quelques-uns, que le médium est dans un état de crise et jouit d'une lucidité qui lui donne une perception somnambulique, une sorte de double vue, ce qui expliquerait l'extension momentanée des facultés intellectuelles ; car, dit-on, les communications obtenues par les médiums ne dépassent pas la portée de celles qu'on obtient par les somnambules ?
A. K. - C'est encore là un de ces systèmes qui ne
soutiennent pas un examen approfondi. Le médium n'est ni en
crise, ni en sommeil, mais parfaitement éveillé, agissant et
pensant comme tout le monde, sans rien avoir d'extraordinaire.
Certains effets particuliers ont pu donner lieu à cette méprise
; mais quiconque ne se borne pas à juger les choses par la vue
d'une seule face, reconnaîtra sans peine que le médium est
doué d'une faculté particulière qui ne permet pas de le
confondre avec le somnambule, et la complète indépendance de sa
pensée est prouvée par des faits de la dernière évidence.
Abstraction faite des communications écrites, quel est le
somnambule qui a jamais fait jaillir une pensée d'un corps
inerte ? qui a produit des apparitions visibles et même
tangibles ? qui a pu maintenir un corps grave dans l'espace sans
point d'appui ? Est-ce par un effet somnambulique qu'un médium a
dessiné, un jour, chez moi, en présence de vingt témoins, le
portrait d'une jeune personne morte depuis dix-huit mois et qu'il
n'avait jamais connue, portrait reconnu par le père présent à
la séance ? Est-ce par un effet somnambulique qu'une table
répond avec précision aux questions proposées, même à des
questions mentales ? Assurément, si l'on admet que le médium
soit dans un état magnétique, il me paraît difficile de croire
que la table soit somnambule.
On dit encore que les médiums ne parlent clairement que de
choses connues. Comment expliquer le fait suivant et cent autres
du même genre ? Un de mes amis, très bon médium écrivain,
demande à un Esprit si une personne qu'il a perdu de vue depuis
quinze ans est encore de ce monde. «Oui, elle vit encore, lui
est-il répondu ; elle demeure à Paris, telle rue, tel
numéro.» Il va, et trouve la personne à l'adresse indiquée.
Est-ce là de l'illusion ? Sa pensée pouvait d'autant moins lui
suggérer cette réponse, qu'en raison de l'âge de la personne,
il y avait toute probabilité qu'elle n'existait plus. Si, dans
certains cas, on a vu des réponses s'accorder avec la pensée,
est-il rationnel d'en conclure que ce soit une loi générale ?
En cela, comme en toute chose, les jugements précipités sont
toujours dangereux, parce qu'ils peuvent être infirmés par des
faits que l'on n'a pas observés.
LES INCREDULES NE PEUVENT VOIR POUR SE CONVAINCRE
Le Visiteur. - Ce sont des faits positifs que les incrédules voudraient voir, qu'ils demandent, et que la plupart du temps on ne peut pas leur fournir. Si tout le monde pouvait être témoin de ces faits, le doute ne serait plus permis. Comment se fait-il donc que tant de gens n'aient pu rien voir malgré leur bonne volonté ? On leur oppose, disent-ils, leur manque de foi ; à cela ils répondent avec raison qu'ils ne peuvent avoir une foi anticipée, et que si on veut qu'ils croient, il faut leur donner les moyens de croire.
A. K. - La raison en est bien simple. Ils veulent les
faits à leur commandement, et les Esprits n'obéissent pas au
commandement ; il faut attendre leur bon vouloir. Il ne suffit
donc pas de dire : Montrez-moi tel fait, et je croirai ; il faut
avoir la volonté de la persévérance, laisser les faits se
produire spontanément, sans prétendre les forcer ou les diriger
; celui que vous désirez sera peut être précisément celui que
vous n'obtiendrez pas ; mais il s'en présentera d'autres, et
celui que vous voulez viendra au moment où vous vous y attendrez
le moins. Aux yeux de l'observateur attentif et assidu, il en
surgit des masses qui se corroborent les uns les autres ; mais
celui qui croit qu'il suffit de tourner une manivelle pour faire
aller la machine, se trompe étrangement. Que fait le naturaliste
qui veut étudier les moeurs d'un animal ? Lui commande-t-il de
faire telle ou telle chose pour avoir tout loisir de l'observer
à son gré ? Non, car il sait bien qu'il ne lui obéira pas ; il
épie les manifestations spontanées de son instinct ; il les
attend et les saisit au passage. Le simple bon sens montre qu'à
plus forte raison il doit en être de même des Esprits, qui sont
des intelligences bien autrement indépendantes que celle des
animaux.
C'est une erreur de croire que la foi soit nécessaire ; mais la
bonne foi, c'est autre chose ; or, il y a des sceptiques qui
nient jusqu'à l'évidence, et que des prodiges ne pourraient
convaincre. Combien y en a-t-il qui, après avoir vu, n'en
persistent pas moins à expliquer les faits à leur manière,
disant que cela ne prouve rien ! Ces gens-là ne servent qu'à
porter le trouble dans les réunions, sans profit pour eux-mêmes
; c'est pour cela qu'on les en écarte, et qu'on ne veut pas
perdre son temps avec eux. Il en est même qui seraient bien
fâchés d'être forcés de croire, parce que leur amour propre
souffrirait de convenir qu'ils se sont trompés. Que répondre à
des gens qui ne voient partout qu'illusion et charlatanisme ?
Rien ; il faut les laisser tranquilles et dire, tant qu'ils
voudront, qu'ils n'ont rien vu, et même qu'on n'a rien pu ou
rien voulu leur faire voir.
A côté de ces sceptiques endurcis, il y a ceux qui veulent voir
à leur manière ; qui, s'étant fait une opinion, veulent tout y
rapporter : ils ne comprennent pas que des phénomènes ne
puissent obéir à leur gré ; ils ne savent pas ou ne veulent
pas se mettre dans les conditions nécessaires. Celui qui veut
observer de bonne foi doit, je ne dis pas croire sur parole, mais
se dépouiller de toute idée préconçue ; ne pas vouloir
assimiler des choses incompatibles ; il doit attendre, suivre,
observer avec une patience infatigable ; cette condition même
est en faveur des adeptes, puisqu'elle prouve que leur conviction
ne s'est pas faite à la légère. Avez-vous cette patience ?
Non, dites-vous, je n'ai pas le temps. Alors ne vous en occupez
pas, mais n'en parlez pas ; personne ne vous y oblige.
BON OU MAUVAIS VOULOIR DES ESPRITS POUR CONVAINCRE
Le Visiteur. - Les Esprits, cependant, doivent avoir à coeur de faire des prosélytes ; pourquoi ne se prêtent-ils pas mieux qu'ils ne le font aux moyens de convaincre certaines personnes dont l'opinion serait d'une grande influence ?
A. K. - C'est qu'apparemment ils ne tiennent pas,
pour le moment, à convaincre certaines personnes dont ils ne
mesurent pas l'importance comme elles le font elles-mêmes. C'est
peu flatteur, j'en conviens, mais nous ne commandons pas leur
opinion ; les Esprits ont une manière de juger les choses qui
n'est pas toujours la notre ; ils voient, pensent et agissent
d'après d'autres éléments ; tandis que notre vue est
circonscrite par la matière, bornée par le cercle étroit au
milieu duquel nous nous trouvons, ils embrassent l'ensemble ; le
temps, qui nous paraît si long, est pour eux un instant ; la
distance n'est qu'un pas ; certains détails, qui nous semblent
d'une importance extrême, sont à leurs yeux des enfantillages ;
et par contre ils jugent importantes des choses dont nous ne
saisissons pas la portée. Pour les comprendre, il faut s'élever
par la pensée au-dessus de notre horizon matériel et moral, et
nous placer à leur point de vue ; ce n'est pas à eux de
descendre jusqu'à nous, c'est à nous de monter jusqu'à eux, et
c'est à quoi nous conduisent l'étude et l'observation.
Les Esprits aiment les observateurs assidus et consciencieux ;
pour eux ils multiplient les sources de lumière ; ce qui les
éloigne, ce n'est pas le doute qui naît de l'ignorance, c'est
la fatuité de ces prétendus observateurs qui n'observent rien,
qui prétendent les mettre sur la sellette et les faire
manoeuvrer comme des marionnettes ; c'est surtout le sentiment
d'hostilité et de dénigrement qu'ils apportent, sentiment qui
est dans leur pensée, s'il n'est pas dans leurs paroles. Pour
ceux-là les Esprits ne font rien et s'inquiètent fort peu de ce
qu'ils peuvent dire ou penser, parce que leur tour viendra. C'est
pourquoi j'ai dit que ce n'est pas la foi qui est nécessaire,
mais la bonne foi.
ORIGINE DES IDEES SPIRITES MODERNES
Le Visiteur. - Une chose que je désirerais savoir, Monsieur, c'est le point de départ des idées spirites modernes ; sont-elles le fait d'une révélation spontanée des Esprits, ou le résultat d'une croyance préalable à leur existence ? Vous comprenez l'importance de ma question ; car, dans ce dernier cas, on pourrait croire que l'imagination n'y est pas étrangère.
A. K. - Cette question, comme vous le dites,
Monsieur, est importante à ce point de vue, quoiqu'il soit
difficile d'admettre, en supposant que ces idées aient pris
naissance dans une croyance anticipée, que l'imagination ait pu
produire tous les résultats matériels observés. En effet, si
le spiritisme était fondé sur la pensée préconçue de
l'existence des Esprits, on pourrait, avec quelque apparence de
raison, douter de sa réalité ; car si la cause est une
chimère, les conséquences doivent elles-mêmes être
chimériques ; mais les choses ne se sont point passées ainsi.
Remarquez d'abord que cette marche serait tout à fait illogique
; les Esprits sont une cause et non un effet ; quand on voit un
effet, on peut en rechercher la cause, mais il n'est pas naturel
d'imaginer une cause avant d'avoir vu les effets. On ne pouvait
donc concevoir la pensée des Esprits si des effets ne se fussent
présentés, qui trouvaient leur explication probable dans
l'existence d'êtres invisibles. Eh bien ! ce n'est même pas de
cette manière que cette pensée est venue ; c'est-à-dire que ce
n'est pas une hypothèse imaginée en vue d'expliquer certains
phénomènes ; la première supposition que l'on a faite est
celle d'une cause toute matérielle. Ainsi, loin que les Esprits
aient été une idée préconçue, on est parti du point de vue
matérialiste. Ce point de vue étant impuissant à tout
expliquer, l'observation seule a conduit à la cause spirituelle.
Je parle des idées spirites modernes, puisque nous savons que
cette croyance est aussi vieille que le monde. Voici la marche
des choses.
Des phénomènes spontanés se sont produits, tel que des bruits
étranges, des coups frappés, des mouvements d'objets, etc.,
sans cause ostensible connue, et ces phénomènes ont pu être
reproduits sous l'influence de certaines personnes. Jusque-là
rien n'autorisait à en chercher la cause ailleurs que dans
l'action d'un fluide magnétique ou tout autre dont les
propriétés étaient encore inconnues. Mais on ne tarda pas à
reconnaître dans ces bruits et ces mouvements un caractère
intentionnel et intelligent, d'où l'on conclut, comme je l'ai
déjà dit, que : Si tout effet a une cause, tout effet
intelligent a une cause intelligente. Cette intelligence ne
pouvait être dans l'objet lui-même, car la matière n'est pas
intelligente. Etait-ce le reflet de celle de la personne ou des
personnes présentes ? On l'a d'abord pensé, comme je l'ai dit
également ; l'expérience seule pouvait prononcer, et
l'expérience a démontré par des preuves irrécusables, en
maintes circonstances, la complète indépendance de cette
intelligence. Elle était donc en dehors de l'objet et en dehors
de la personne. Qui était-elle ? C'est elle-même qui a répondu
; elle a déclaré appartenir à l'ordre des êtres incorporel
désignés sous le nom d'Esprits. L'idée des Esprits n'a donc
pas préexisté ; elle n'a pas même été consécutive ; en un
mot elle n'est pas sortie du cerveau : elle a été donnée par
les Esprits eux-mêmes, et tout ce que nous avons su depuis sur
leur compte, ce sont eux qui nous l'ont appris.
Une fois l'existence des Esprits révélée et les moyens de
communication établis, on put avoir des entretiens suivis et
obtenir des renseignements sur la nature de ces êtres, les
conditions de leur existence, leur rôle dans le monde visible.
Si l'on pouvait ainsi interroger les êtres du monde des
infiniment petits, que de choses curieuses n'apprendrait-on pas
sur eux !
Supposons qu'avant la découverte de l'Amérique un fil
électrique ait existé à travers l'Atlantique, et qu'à son
extrémité européenne on eût remarqué des signes
intelligents, on aurait conclu qu'à l'autre extrémité il y
avait des êtres intelligents qui cherchaient à se communiquer ;
on aurait pu les questionner et ils auraient répondu. On eût
ainsi acquis la certitude de leur existence, la connaissance de
leurs moeurs, de leurs habitudes, de leur manière d'être, sans
les avoir jamais vus. Il en a été de même des relations avec
le monde invisible ; les manifestations matérielles ont été
comme des signaux, des moyens d'avertissement qui nous ont mis
sur la voie de communications plus régulières et plus suivies.
Et, chose remarquable, à mesure que des moyens plus faciles de
communiquer sont à notre portée, les Esprits abandonnent les
moyens primitifs, insuffisants et incommodes, comme le muet qui
recouvre la parole renonce au langage des signes.
Quels étaient les habitants de ce monde ? Etaient-ce des êtres
à part, en dehors de l'humanité ? Etaient-ils bons ou mauvais ?
C'est encore l'expérience qui s'est chargée de résoudre ces
questions ; mais, jusqu'à ce que des observations nombreuses
aient eu jeté la lumière sur ce sujet, le champ des conjectures
et des systèmes était ouvert, et Dieu sait s'il en a surgi !
Les uns ont cru les Esprits supérieurs en tout, d'autres n'ont
vu en eux que des démons ; c'est à leurs paroles et à leurs
actes qu'on pouvait les juger. Supposons que parmi les habitants
transatlantiques inconnus dont nous venons de parler les uns
aient dit de très bonnes choses, tandis que d'autres se seraient
fait remarquer par le cynisme de leur langage, on eût conclu
qu'il y en avait de bons et de mauvais. C'est ce qui est arrivé
pour les Esprits ; c'est ainsi qu'on a reconnu parmi eux tous les
degrés de bonté et de méchanceté, d'ignorance et de savoir.
Une fois bien édifiés sur les défauts et les qualités qu'on
rencontre chez eux, c'était à notre prudence à faire la part
du bon et du mauvais, du vrai et du faux dans leurs rapports avec
nous, absolument comme nous le faisons à l'égard des hommes.
L'observation ne nous a pas seulement éclairés sur les
qualités morales des Esprits, mais aussi sur leur nature et sur
ce que nous pourrions appeler leur état physiologique. On sut,
par ces esprits eux-mêmes, que les uns sont très heureux et les
autres très malheureux ; qu'ils ne sont point des êtres à
part, d'une nature exceptionnelle, mais que ce sont les âmes
mêmes de ceux qui ont vécu sur la terre, où ils ont laissé
leur enveloppe corporelle, qui peuplent les espaces, nous
entourent et nous coudoient sans cesse, et, parmi eux, chacun a
pu reconnaître, à des signes incontestables, ses parents, ses
amis et ceux qu'il a connus ici-bas ; on put les suivre dans
toutes les phases de leur existence d'outre tombe, depuis
l'instant où ils quittent leur corps, et observer leur situation
selon leur genre de mort et la manière dont ils avaient vécu
sur la terre. On sut enfin que ce ne sont pas des êtres
abstraits, immatériels dans le sens absolu du mot ; ils ont une
enveloppe, à laquelle nous donnons le nom de périsprit, sorte
de corps fluidique, vaporeux, diaphane, invisible dans l'état
normal, mais qui, dans certains cas, et par une espèce de
condensation ou de disposition moléculaire, peut devenir
momentanément visible et même tangible, et, dès lors, fut
expliqué le phénomène des apparitions et des attouchements.
Cette enveloppe existe pendant la vie du corps : c'est le lien
entre l'Esprit et la matière ; à la mort du corps, l'âme ou
l'Esprit, ce qui est la même chose, ne se dépouille que de
l'enveloppe grossière, elle conserve la seconde, comme lorsque
nous quittons un vêtement de dessus pour ne conserver que celui
de dessous. comme le germe d'un fruit se dépouille de
l'enveloppe corticale et ne conserve que le périsperme. C'est
cette enveloppe semi-matérielle de l'Esprit qui est l'agent des
différents phénomènes au moyen desquels il manifeste sa
présence.
Telle est, en peu de mots, Monsieur, l'histoire du spiritisme ;
vous voyez, et vous le reconnaîtrez encore mieux quand vous
l'aurez étudié à fond, que tout y est le résultat de
l'observation et non d'un système préconçu.
1 Ces mots d'ailleurs ont aujourd'hui droit de bourgeoisie ; ils sont dans le supplément du Petit Dictionnaire des Dictionnaires français, extrait de Napoléon Landais, ouvrage qui se tire à vingt mille exemplaires. On y trouve la définition et l'éthymologie des mots : erraticité, médianimique, médium, médiumnité, périsprit, pneumatographie, pneumatophonie, psychographe, psychographie, psychophonie, réincarnation, sématologie, spirite, spiritisme, spiritiste, stéréorite, typtologie. Ils se trouvent également avec tous les développements qu'ils comportent, dans la nouvelle édition du Dictionnaire universel de Maurice Lachâtre.