Nous ne saurions trop insister sur une question capitale : celle de l'identité des Esprits qui se communiquent au cours des expériences. Cette identité, établie de la manière la plus précise, sera la meilleure réponse aux contempteurs du spiritisme et à tous ceux qui cherchent à expliquer les phénomènes par d'autres causes que celle de l'intervention des défunts.

Voici plusieurs faits qui nous paraissent caractéristiques et appuyés sur des témoignages importants.

Le premier, rapporté par Myers dans son ouvrage sur la Conscience subliminale, concerne une personne bien connue de l'auteur, M. Brown, dont il garantit la parfaite sincérité.

Un nègre, d'origine cafre, vint en visite chez M. Brown un jour qu'il faisait des expériences spirites avec sa famille.

Le visiteur introduit, on demanda s'il y avait de ses compatriotes défunts voulant entrer en communication avec lui.

Aussitôt, la jeune fille de la maison, qui ne connaissait pas un mot de cafre, écrivit plusieurs noms en cette langue. Lus au nègre, ils provoquèrent chez lui une vive stupeur. Puis vint un message en langue cafre dont il comprit tout à fait la lecture, à l'exception d'un mot inconnu de M. Brown. En vain celui-ci le prononçait de diverses manières, le visiteur n'en saisissait pas le sens. Tout à coup, le médium écrivit : « Fais claquer ta langue. » Alors M. Brown se rappela soudain le claquement particulier de la langue qui accompagne l'articulation de la lettre t chez les Cafres, et il se fit comprendre immédiatement.

Les Cafres ignorant l'art d'écrire, M. Brown s'étonnait de recevoir un message écrit. Il lui fut répondu que ce message avait été dicté, à la demande des amis du nègre, par un de ses amis européens qui, de son vivant, parlait couramment cette langue.

L'Africain semblait terrifié à la pensée que des morts étaient là, invisibles.

Le second cas est relatif à l'apparition d'un Esprit, nommé Nephentés, dans une séance tenue à Christiania, chez le professeur E., avec Mme d'Espérance comme médium. L'Esprit donna le moulage de sa main dans la paraffine. Ce modèle en creux, porté chez un professionnel pour qu'il en fît le relief, excita sa stupéfaction et celle de ses ouvriers : ils comprenaient bien qu'une main humaine n'avait pu le produire, parce qu'elle l'aurait brisé en se retirant, et déclarèrent que c'était une oeuvre de sorcellerie.

Une autre fois, Nephentés écrivit sur le carnet du professeur E. des caractères grecs. Traduites, le lendemain, du grec ancien en langage moderne, ces paroles signifiaient : « Je suis Nephentés, ton amie. Lorsque ton âme sera oppressée par trop de douleur, invoque-moi, et j'accourrai promptement pour soulager tes peines. »

Enfin, le troisième cas est certifié authentique par M. Chedo Mijatovitch, ministre plénipotentiaire de Serbie à Londres, qui l'a communiqué en 1908 au Light. Prié par des spirites hongrois de se mettre en rapport avec un médium pour élucider un point d'histoire relatif à un ancien souverain serbe, mort vers 1350, il se rendit chez M. Vango, dont on parlait beaucoup à cette époque et qu'il n'avait jamais vu auparavant. Endormi, le médium annonça la présence de l'Esprit d'un jeune homme, très désireux de se faire entendre, mais dont il ne comprenait pas le langage. Pourtant, il finit par en reproduire quelques mots.

C'était du serbe, dont voici la traduction :

« Je te prie de vouloir écrire à ma mère Nathalie, en lui disant que j'implore son pardon. » L'Esprit était celui du roi Alexandre. M. Chedo Mijatovitch en douta d'autant moins que de nouvelles preuves d'identité s'ajoutèrent bientôt à la première : le médium fit la description du défunt, et celui-ci exprima ses regrets de n'avoir pas suivi un conseil confidentiel que lui avait donné, deux ans avant son assassinat, le diplomate consultant10.

Les faits suivants, pour la plupart inédits, constituent autant de preuves de la survivance :

Au cours des séances que nous tenions à Tours de 1893 à 1901, et dont j'ai déjà parlé en mon ouvrage Dans l'Invisible (Spiritisme et Médiumnité)11 à propos des phénomènes de la transe, M. Périnne, président de la Cour d'appel d'Alger, qui avait pris sa retraite dans notre ville, s'entretenait librement avec l'Esprit de son fils, Edouard Périnne, décédé à l'âge de 26 ans, juge de paix à Cherchell, le 1° novembre 1874. Un certain soir, il nous arriva chargé d'une liasse de papiers couverts de croquis à la plume, représentant des scènes humoristiques tracées par le défunt et qu'il conservait comme des reliques : « Edouard, - demanda-t-il à l'Esprit, quand celui-ci se fut incorporé en Mme F..., notre principal médium, lequel n'avait jamais connu le décédé ni mis les pieds en Algérie, - Edouard, qui était donc ce gros homme dont tu as tracé la caricature sur cette page ? Ni moi ni ta mère nous ne pouvons nous rappeler le sens de ce croquis. » On voyait sur le dessin un homme obèse, s'essayant à grimper à un poteau télégraphique. « Comment, père, répondit l'Esprit, tu ne te rappelles pas ce M. X..., si ridicule, qui, à Alger, nous fatiguait de ses propos oiseux et de ses hâbleries sur son agilité ? » Et il entra dans des détails très précis sur l'identité de ce personnage, si bien que M. et Mme Périnne se remémorèrent aussitôt la cause inspiratrice de ces dessins burlesques.

Un jour d'été, Mme F..., occupée dans son jardin avec son mari à de menus travaux, se sentit poussée par une force irrésistible à couper une superbe rose, le seul ornement d'un arbuste et dont M. F... était très fier. Celui-ci chercha en vain à la dissuader. Sous l'influence occulte, elle coupa la fleur et courut l'offrir à Mme Périnne, qui habitait dans le voisinage. Cette dame, ravie, s'écria en la voyant : « Oh, quel plaisir vous me causez en ce jour, qui est celui de ma fête ! » Mme F... ignorait ce détail.

A la séance suivante, l'Esprit d'Edouard, s'adressant à sa mère, lui dit : « N'as-tu pas compris que c'est moi qui ai poussé le médium à détacher cette fleur et à te l'offrir en souvenir de moi ? »

Lors de séances tenues à Paris, en décembre 1911, chez le capitaine P., officier d'état-major, en présence de quelques amis, parmi lesquels se trouvaient le docteur G. et M. Robert Pelletier, secrétaire de la Revue, un Esprit se manifesta comme étant Geber, savant arabe ayant vécu en Perse de 760 à 820. Pour preuve de son identité, il indiqua que la traduction de ses ouvrages était à la Bibliothèque Nationale et donna leurs titres : Summa collectionis, Compendium, Testamentum, etc.

M. Pelletier alla contrôler ses affirmations à la Bibliothèque, et elles se trouvèrent entièrement confirmées ; aucun des assistants n'avait jamais entendu parler de ce personnage. Dans le même groupe, le compositeur Francis Thomé se fit reconnaître de ses cousins en rappelant des faits ignorés des autres personnes, et dont quelques-uns n'étaient même plus présents à la mémoire de ses parents.

Le général L. G. m'écrivait en 1904 :

Je ne puis résister au désir de vous communiquer le fait suivant. Au mois de juillet dernier, ma femme était à B. chez son frère, et se livrait à des expériences de typtologie. Après diverses communications par la table, survint l'Esprit de l'amiral Lacombe, oncle de ma femme, mort en janvier 1903. Mon beau-frère, capitaine au ....° de ligne, très sceptique, interrogea : « Puisque tu es là, tu pourrais peut-être nous dire où est le bon de loterie turque qui était dans les papiers de papa ; je n'ai pu le trouver. Toi qui as réglé cette succession, comme tuteur de Marie, tu dois le savoir. »

La table répondit : « Il est chez M. L..., notaire. - Non, je le lui ai demandé ; il ne l'a pas. - Si, il est dans une chemise au nom de M. V... (banquier de mon beau-père), avec de vieux papiers, dans le bureau du premier clerc. » Mon beau-frère en reste là... Aujourd'hui, je reçois de lui une lettre m'annonçant que le billet de loterie turque a bien été trouvé à l'endroit indiqué par la table : c'est renversant, voilà le fait !

Le cas suivant publié par M. Aksakof montre jusqu'à quel point les personnes décédées peuvent continuer à être au courant des choses terrestres.

Une jeune fille russe, Schura (diminutif d'Alexandrine), s'empoisonna à l'âge de 17 ans, après avoir perdu son fiancé Michel, qui, arrêté comme révolutionnaire, perdit la vie en tentant de s'évader. Le frère de Michel, Nicolas, était, au moment où a été prise cette observation, étudiant à l'Institut Technologique. Un jour, une dame de Wiessler et sa fille (dont la première s'occupait beaucoup de spiritisme), qui ne connaissaient que très peu la famille de Michel et de Nicolas, et dont les relations avec Schura et sa famille remontaient déjà à une époque éloignée et n'ont jamais été très suivies, reçoivent par l'intermédiaire d'une table un message de Schura leur enjoignant de prévenir sans retard la famille de Nicolas que leur fils court le même danger dont avait péri son frère. En présence des hésitations de ces deux dames, Schura devient de plus en plus insistante, prononce des paroles dont elle avait l'habitude de se servir de son vivant et, pour leur fournir une preuve de son identité, va jusqu'à apparaître à Sophie un soir, la tête et les épaules encadrées d'un cercle lumineux. Ceci n'a pas encore suffi à décider Mme von Wiessler et sa fille. Enfin, un jour, Schura leur fait savoir que tout est fini, que Nicolas va être arrêté et qu'elles auront à se repentir de ne pas lui avoir obéi. Les deux dames se décident alors à porter tous ces faits à la connaissance de la famille de Nicolas, qui, très satisfaite de la conduite de ce dernier, ne prêta aucune attention à ce qu'on venait de lui raconter. Deux années se passèrent sans incidents, lorsqu'on apprit un jour que Nicolas venait d'être arrêté pour avoir pris part à des réunions révolutionnaires qui ont eu lieu à l'époque même des apparitions et des messages de Schura (Proceedings S. P. R., VI, pp. 349-359).

Le vice-amiral anglais Usborne Moore était un ami de William Stead. Depuis la catastrophe du Titanic, l'amiral est entré en communication avec son ami par l'intermédiaire de Mme Wriedt, médium. Il le raconte lui-même ainsi12 :

« Il (W. Stead) donna trois admirables preuves d'identité - deux à Mlle Harper et une à moi. Il fit allusion au dernier entretien que nous eûmes ensemble à Bank Buildings. A cette occasion la conversation avait duré une demi-heure et roula sur différents sujets : depuis la guerre entre l'Italie et la Turquie jusqu'à la prochaine visite de son excellente amie Mme Wriedt. C'est de cela que nous parlâmes le plus, surtout de certaines conditions qu'il désirait qu'on observât. Ce fut à une de ces conditions qu'il fit surtout allusion dans cette séance du dimanche soir.

« Le lundi matin, notre ami se montra lui-même à moi sous une forme éthérée, alors que je me trouvais seul avec le médium. C'était un bon simulacre, très brillant jusqu'au milieu du corps, mais cette fois il ne parla pas. Le même soir il se montra de la même façon à plusieurs amis intimes et parla pendant plusieurs minutes sur des sujets dont on savait que son esprit était préoccupé lorsqu'il quitta l'Angleterre. »

Un autre ami de M. Stead, M. Chedo Mijatovitch, ministre plénipotentiaire de Serbie à Londres, a vu l'esprit de Stead et lui a parlé quelques instants. Là encore, l'Esprit donna des preuves formelles de son identité, en rappelant des souvenirs totalement inconnus du médium.

M. Chedo Mijatovitch en a témoigné formellement dans une lettre publiée le 8 juin dans le Light.

Le professeur Hyslop a raconté aussi13 comment, dans une séance avec Mme Chenoweth pour médium, W. James, le célèbre philosophe américain, mort quelques mois auparavant, était venu et avait donné de nombreuses preuves d'identité, notamment en rappelant des faits que M. Hyslop seul pouvait connaître.

Le Light de Londres rapporte un cas remarquable d'identité par l'écriture médianimique. Le voici :

M. Shepard avait comme principal employé un certain M. Purday, en qui il avait toute confiance. Purday étant tombé malade, M. Shepard alla lui rendre visite. Il fut reçu par la femme, qui ne le laissa pénétrer qu'avec la plus grande répugnance auprès de son mari, et ne quitta pas un seul instant la chambre du malade, ni pendant cette visite, ni pendant les suivantes. Ceci frappa d'autant plus le visiteur, que le malade le regardait de façon particulière et semblait avoir quelque chose d'important à communiquer et en être empêché par la présence de sa femme.

Purday mourut sans testament ; sa femme hérita de sa fortune, qui, au dire des voisins, était considérable, ce qui surprit beaucoup M. Shepard.

Quelques semaines plus tard, il reçut la visite d'un M. Stafford, médium écrivain, qui lui remit une page d'écriture médianimique signée du nom de Purday. Celui-ci avouait que pendant de longues années il avait abusé de la confiance de son patron et avait fait des détournements quotidiens, dont le total constituait un capital important. Il ajoutait que, se trouvant profondément malheureux, il se résignait à cet aveu, que sa femme lui avait empêché de faire avant sa mort.

Les détails qu'il donnait permirent à M. Shepard de contrôler ses affirmations. En outre, ayant soumis cette communication et un spécimen de l'écriture de Purday vivant à un expert, celui-ci conclut à l'identité commune des deux pièces14.

Le 3 avril 1890, à 10 heures du matin, Mrs. d'Espérance se trouvait dans son bureau, à Gothembourg (Suède), occupée à écrire plusieurs lettres d'affaires. Elle avait daté une feuille de papier et tracé l'en-tête, puis s'était arrêtée pour se renseigner sur l'orthographe d'un nom.

Lorsqu'elle remit les yeux sur la feuille, elle s'aperçut que sa plume ou sa main avait écrit spontanément et à grands caractères les mots « Svens Stromberg ».

Deux mois après, M. Alexandre Aksakof, le professeur Boutlerof, d'autres amis russes et M. Fidler vinrent trouver Mme d'Espérance pour étudier les meilleurs moyens de photographier des fantômes matérialisés.

Dans une séance, son esprit-guide, Walter, écrivit : « Il y a ici un Esprit disant s'appeler « Stromberg ». Il désirerait que ses parents fussent informés de sa mort. Il me semble qu'il a dit être mort dans le Wisconsin le 13 mars et être né à Jemtland. Il avait une femme et six enfants. »

« S'il est mort à Jemtland, dit M. Fidler, qu'il nous donne l'adresse de sa femme ! »

Il fut répondu : « Non, il est mort en Amérique, et ce sont ses parents qui vivent à Jemtland. »

Le jour suivant, au cours d'une séance de photographie, une plaque développée laissa apparaître, derrière Mme d'Espérance, une tête d'homme à l'aspect placide.

M. Fidler demanda à « Walter » quelle était cette entité photographiée. « Oui - répondit Walter - c'est ce Stromberg dont je t'ai parlé. Je dois même te dire qu'il n'est pas mort dans le Wisconsin, mais à New-Stockolm, et que la date de sa mort est le 31 mars et non le 13. Ses parents habitaient Strom Stocking, ou un nom de ce genre, dans la province de Jemtland. Il a dit, me semble-t-il, qu'il émigra en 1886, qu'il se maria et eut trois fils et non six. Il mourut aimé et pleuré de tous. »

« C'est bien, répliqua M. Fidler. Dois-je envoyer sa photographie à sa veuve ? »

« Tu n'as pas encore bien compris, répondit Walter. J'ai dit que ce sont les parents à Jemtland qui ignorent sa mort, et non sa femme. Il m'a dit que tout le monde le connaît dans le pays ; j'imagine que, si tu envoies la photographie à Jemtland, tu atteindras le but. »

Pendant un an M. Fidler s'occupa de vérifier ces renseignements. Voici ce qu'il obtint : Svens Ersson, natif de Strom Stocken (paroisse de Strom), dans la province de Jemtland, en Suède, s'était marié avec Sarah Kaiser, avait émigré au Canada et, une fois établi, avait pris le nom de Stromberg ; cette dernière circonstance est assez commune parmi les paysans de la Suède, dont les familles ne portent pas de noms qui leur soient propres.

On consulta la femme du défunt, le médecin qui l'avait soigné et le pasteur.

Tous étaient d'accord pour dire que le 31 mars 1890, jour de sa mort, Stromberg, en dictant ses dernières volontés, avait exprimé le désir formel que ses parents et amis de Suède fussent informés de son décès.

Pour des raisons trop longues à énumérer, ses dernières volontés ne furent pas exécutées.

La photographie de Svens Stromberg fut aussi identifiée. Elle avait été envoyée à Strom, où elle fut accrochée à la sacristie, avec invitation aux personnes qui la reconnaîtraient d'y apposer leur signature. Elle fut renvoyée avec de nombreuses signatures et beaucoup de commentaires.

Il reste acquis que soixante heures après sa mort, survenue dans le nord du Canada, Svens Stromberg écrivit son nom sur une feuille de papier dans la ville de Gothembourg, en Suède, et que tous les renseignements qu'il a communiqués par l'intermédiaire de « Walter » étaient de la plus parfaite exactitude.

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Après avoir passé en revue les principaux phénomènes qui servent de base au spiritualisme moderne, notre résumé serait incomplet, si nous ne disions quelques mots des objections présentées et des théories contraires, à l'aide desquelles on a cherché à les expliquer.

Le spiritisme, a-t-on dit, n'est qu'un ensemble de fraudes et de supercheries. Tous les faits extraordinaires sur lesquels il s'appuie sont des faits simulés.

Il est vrai que des imposteurs ont cherché à imiter ces phénomènes ; leurs ruses ont été facilement découvertes, et les spirites ont été les premiers à les signaler. Dans presque tous les cas cités plus haut : apparitions, matérialisations d'Esprits, les médiums sont liés, attachés sur leur chaise ; fréquemment, leurs pieds et leurs mains sont tenus par les expérimentateurs. Parfois même, ils sont placés dans des cages spécialement préparées à cet effet, cages fermées, dont la clé est aux mains des opérateurs, rangés autour du médium. C'est dans de telles conditions que de nombreuses matérialisations de fantômes se sont produites.

Somme toute, les impostures ont presque toujours été démasquées, et beaucoup de phénomènes n'ont jamais été imités, par la raison qu'ils échappent à toute imitation possible.

Les phénomènes spirites ont été observés, vérifiés, contrôlés, par des savants sceptiques, qui ont passé par tous les degrés de l'incrédulité, et dont la conviction ne s'est faite que peu à peu, sous la pression continue des faits.

Ces savants étaient des hommes de laboratoire, des physiciens et des chimistes éprouvés, des médecins et des magistrats. Ils avaient toutes les qualités requises, toute la compétence nécessaire, pour démasquer les fraudes les plus habiles, pour déjouer les trames les mieux ourdies. Leurs noms sont parmi ceux que l'humanité entière respecte et honore. A côté de ces hommes illustres, tous ceux qui se sont livrés à une étude patiente, consciencieuse et persévérante de ces phénomènes viennent en affirmer la réalité, tandis que la critique et la négation émanent de personnes dont le jugement, basé sur des notions insuffisantes, ne saurait être que superficiel.

Il est arrivé à quelques-uns d'entre eux ce qui arrive souvent aux observateurs inconstants. Ils n'ont obtenu que de faibles résultats, parfois même des résultats négatifs, et ils en sont devenus d'autant plus sceptiques. Ils n'ont pas voulu tenir compte d'une chose essentielle : c'est que le phénomène spirite est soumis à des conditions qu'il faut connaître et observer15. Leur patience s'est trop vite lassée. Les preuves qu'ils exigent ne s'obtiennent pas en quelques jours. Les savants qui ont formulé des conclusions affirmatives et que nous avons citées ont étudié la question pendant de nombreuses années. Ils ne se sont pas contentés d'assister à quelques séances plus ou moins bien dirigées et pourvues de bons médiums. Ils se sont donné la peine de rechercher les faits, de les grouper, de les analyser ; ils sont allés au fond des choses. Aussi, leur persévérance a été couronnée de succès, et leur méthode d'investigation peut être offerte en exemple à tout chercheur sérieux.

Parmi les théories mises en avant pour expliquer les phénomènes spirites, celle de l'hallucination tient toujours la plus grande place. Elle a perdu toute raison d'être cependant, devant les photographies d'Esprits obtenues par Aksakof, Crookes, Volpi, Ochorowicz, W. Stead et tant d'autres. On ne photographie pas des hallucinations !

Les Invisibles impressionnent non seulement les plaques photographiques, mais encore des instruments de précision, comme les enregistreurs Marey16 ; ils soulèvent des objets matériels, les décomposent et les recomposent ; ils laissent des empreintes dans la paraffine chaude. Ce sont là autant de preuves contre la théorie de l'hallucination, soit individuelle, soit collective.

Certains critiques accusent les phénomènes spirites de vulgarité, de grossièreté, de trivialité ; ils les considèrent comme ridicules. Ces appréciations prouvent leur incompétence. Les manifestations ne peuvent être différentes de ce qu'elles eussent été, venant du même Esprit, lorsqu'il vivait sur la terre. La mort ne nous change pas, et nous sommes seulement, dans l'Au-delà, ce que nous nous sommes faits durant cette vie. De là, l'infériorité de tant d'êtres désincarnés.

D'un autre côté, ces manifestations triviales et grossières ont leur utilité : ce sont elles qui révèlent le mieux l'identité de l'Esprit. Elles ont convaincu nombre d'expérimentateurs de la réalité de la survivance, et les ont amenés peu à peu à observer, à étudier des phénomènes d'un ordre plus élevé. Car, nous l'avons vu, les faits s'enchaînent et se lient dans un ordre gradué, en vertu d'un plan qui semble indiquer l'action d'une puissance, d'une volonté supérieure, cherchant à arracher l'humanité à son indifférence, à la pousser vers l'étude et la recherche de ses destinées. Les phénomènes physiques : tables parlantes, maisons hantées, étaient nécessaires pour frapper l'attention des hommes, mais il ne faut voir là que des moyens préliminaires, un acheminement vers des domaines plus élevés de la connaissance.

A chaque siècle, l'histoire rectifie ses jugements. Ce qui paraissait grand devient petit, et ce qui semblait petit s'élève. Aujourd'hui déjà, on commence à comprendre que le spiritisme est un des événements les plus considérables des temps modernes, une des formes les plus remarquables de l'évolution de la pensée, le germe d'une des plus grandes révolutions morales que le monde ait connues.

En ce qui concerne l'étude des manifestations psychiques, les spirites se savent en bonne compagnie. Les noms illustres de Russell Wallace, de Crookes, de Robert Hare, de Mapes, de Zöllner, d'Aksakof, de Boutlerof, de Wagner, de Flammarion, de Myers, de Lombroso, ont été souvent cités. On voit aussi des savants, comme les professeurs Barlett, Hyslop, Morselli, Botazzi, William James, Lodge, le professeur Richet, le colonel de Rochas, etc., qui ne considèrent pas ces études comme indignes d'eux. Que penser, après cela, des accusations de ridicule, de folie ? Que prouvent-elles, sinon une chose attristante : c'est que le règne de l'aveugle routine persiste dans certains milieux. L'homme incline trop souvent à juger les faits d'après l'horizon étroit de ses préjugés et de ses connaissances. Il faut élever plus haut, étendre plus loin ses regards et mesurer sa faiblesse en face de l'univers. On apprendra par là à être modeste, à ne rien rejeter ni condamner sans examen.

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On a cherché à expliquer tous les phénomènes du spiritisme par la suggestion et la double personnalité. Dans les expériences, nous dit-on, le médium se suggestionne lui-même, ou bien il subit l'influence des assistants.

La suggestion mentale, qui n'est autre chose que la transmission de pensée, malgré les difficultés qu'elle présente, peut se comprendre et s'établir entre deux cerveaux organisés, par exemple entre le magnétiseur et son sujet. Mais peut-on croire que la suggestion agisse sur des tables ? Peut-on admettre que des objets inanimés soient aptes à recevoir et reproduire les impressions des assistants ?

On ne saurait expliquer par cette théorie les cas d'identité, les révélations de faits, de dates, ignorés du médium et des assistants, qui se produisent assez souvent dans les expériences, pas plus que les manifestations contraires à la volonté de tous les spectateurs. Bien des fois, des détails absolument inconnus de tout être vivant sur la terre ont été révélés par des médiums, puis vérifiés et reconnus exacts. On en trouve de remarquables exemples dans l'ouvrage d'Aksakof : Animisme et Spiritisme, et dans celui de Russell Wallace : le Moderne Spiritualisme, ainsi que des cas de médiumnité constatés chez des enfants en bas âge, qui, pas plus que les précédents, ne sauraient être expliqués par la suggestion.

Selon MM. Pierre Janet et Ferré17 - et c'est là une explication dont se servent fréquemment les adversaires du spiritisme - on doit assimiler un médium écrivain à un sujet hypnotisé, auquel on suggère une personnalité pendant le sommeil, et qui a perdu au réveil le souvenir de cette suggestion. Le sujet écrit d'une manière inconsciente une lettre, un récit se rapportant à ce personnage imaginaire. C'est là, nous dit-on, l'origine de tous les messages spirites.

Tous ceux qui ont quelque expérience du spiritisme savent que cette explication est inadmissible. Les médiums, écrivant d'une manière automatique, ne sont pas plongés au préalable dans le sommeil hypnotique. C'est, en général, à l'état de veille, dans la plénitude de leurs facultés et de leur moi conscient, que les médiums écrivent sous l'impulsion des Esprits. Dans les expériences de M. Janet, il y a toujours un hypnotiseur en liaison magnétique avec le sujet. Il n'en est pas de même dans les séances spirites : ni l'évocateur ni les assistants n'agissent sur le médium ; celui-ci ignore absolument le caractère de l'Esprit qui va intervenir. Souvent même, les questions sont posées aux Esprits par des incrédules, plus disposés à combattre la manifestation qu'à la faciliter.

Le phénomène de la communication graphique ne consiste pas seulement dans le caractère automatique de l'écriture, mais surtout dans les preuves intelligentes, dans les identités qu'elle fournit. Or, les expériences de M. Janet ne donnent rien de semblable. Les communications suggérées aux sujets hypnotisés sont toujours d'une banalité désespérante, tandis que les messages des Esprits nous apportent souvent des indications, des révélations ayant trait à la vie présente et passée d'êtres que nous avons connus sur la terre, qui ont été nos amis ou nos proches, détails ignorés du médium et dont le caractère de certitude les distingue absolument des expériences d'hypnotisme.

On ne saurait, par la suggestion, faire écrire des illettrés, ni recevoir d'un guéridon des poésies comme celles recueillies par M. Jaubert, président du tribunal de Carcassonne, et qui obtinrent des prix aux jeux floraux de Toulouse. On ne saurait pas davantage, par ce moyen, susciter l'apparition de mains, de formes humaines, pas plus que l'écriture dont se couvrent les ardoises apportées par des observateurs, sans qu'ils s'en soient dessaisis.

Il faut se rappeler que la doctrine des Esprits a été constituée à l'aide de nombreux messages, obtenus par des médiums écrivains à qui ces enseignements étaient absolument étrangers. Presque tous avaient été bercés dès l'enfance par l'enseignement des Eglises, par les idées de paradis et d'enfer. Leurs convictions religieuses, leurs notions sur la vie future, étaient en opposition frappante avec les vues exposées par les Esprits. Il n'existait en eux aucune idée préalable de la réincarnation ni des vies successives de l'âme, pas plus que de la véritable situation de l'Esprit après la mort, toutes choses exposées dans les messages obtenus. Il y a là une objection irréfutable à la théorie de la suggestion.

Il est évident que, parmi l'énorme quantité de faits spirites actuellement enregistrés, il s'en trouve de faibles, de peu concluants ; d'autres peuvent être expliqués par la suggestion ou par l'extériorisation du sujet. Dans certains groupes spirites, on est trop porté à tout accepter comme émanant des Esprits, et l'on ne fait pas assez la part des phénomènes douteux. Mais, si large que soit cette part, il reste un ensemble imposant de manifestations inexplicables par la suggestion, l'inconscient, l'hallucination ou autres théories analogues.

Les critiques procèdent toujours de la même façon envers le spiritisme. Ils ne s'adressent qu'à un genre spécial de phénomènes et écartent à dessein de la discussion tout ce qu'ils ne peuvent comprendre ni réfuter. Dès qu'ils croient avoir trouvé l'explication de quelques faits isolés, ils s'empressent de conclure à l'absurdité de l'ensemble. Or, presque toujours, leur explication est inexacte, et laisse dans l'ombre les preuves les plus frappantes de l'existence des Esprits et de leur intervention dans les choses humaines.

Les professeurs Taine, Flournoy, les docteurs Binet, Grasset, etc., ont proposé les théories de la double conscience et de l'altération de la personnalité, pour expliquer les phénomènes de l'écriture et de l'incorporation ; mais leurs systèmes ne s'accordent pas avec les faits d'écritures en langues étrangères ignorées du médium, comme ce fut le cas avec la fille du grand juge Edmonds (voir Problème de l'Etre, p. 139). Ils ne concordent pas davantage avec les autographes obtenus de certains défunts, pas plus qu'avec les phénomènes d'écriture obtenus par des illettrés18.

Aucune de ces hypothèses ne peut expliquer les faits d'écriture directe, obtenue par M. de Guldenstubbe, sans contact, sur des feuilles de papier non préparées19, pas plus que l'expérience rapportée par sir W. Crookes20, et dans laquelle une main d'Esprit, matérialisée, descendit du plafond, sous ses regards, dans son propre cabinet de travail, alors qu'il tenait dans ses deux mains celles du médium Kate Fox.

Dans toutes ces théories on confond presque toujours le subconscient, ou le subliminal, soit avec le double fluidique, qui n'est pas un être, mais un organisme, soit avec l'Esprit préposé à la garde de toute âme incarnée en ce monde.

Le pasteur Benezech, que les faits ont converti au spiritisme, a montré excellemment tout ce qu'ont d'arbitraire et d'invraisemblable ces explications prétendues scientifiques. Dans un livre récent il écrit à ce sujet21 :

La table nous révélait une chose que nous étions dans l'impossibilité matérielle, absolue, incontestable de savoir. Quelqu'un le savait pour nous, puisqu'on nous le disait. La mémoire latente n'a pas pu intervenir, et si la subconscient est seul en jeu, de quel pouvoir ne dispose-t-il pas ! Il est en nous, il est une partie de nous-mêmes, et, par un caprice de la nature qui égale, quand on y réfléchit, les prodiges les plus invraisemblables, il pense, il conçoit des projets, il les exécute, tout cela à notre insu, et ensuite il nous dit ce qu'il a réalisé, alors que nous sommes, non pas endormis et à l'état de rêve, mais parfaitement éveillés et dans l'attente de ce qui va se produire. Les amateurs de fantastique ont de quoi être satisfaits.

Dans son dernier livre22, sir Oliver Lodge rapporte, en ces termes, un fait qui ne peut être expliqué par aucune des théories chères aux adversaires du spiritisme :

« Le texte suivant fut obtenu par M. Stainton Moses, alors qu'il était en séance dans la bibliothèque du docteur Speer, et conversait, par le moyen de sa main qui écrivait automatiquement, avec divers interlocuteurs supposés :

S. M. - Pouvez-vous lire ?

Rép. - « Non, ami, je ne peux pas, mais Zacharie Gray ainsi que Rector le peuvent. »

S. M. - Y a-t-il ici l'un quelconque de ces Esprits ?

Rép. - « Je vais en amener un tout à l'heure. Je vais envoyer... Rector est ici. »

S. M. - J'ai demandé si vous pouviez lire. Cela est-il vrai ? Pouvez-vous lire un livre ?

Rép. - (L'écriture change.) « Oui, ami, mais difficilement. »

S. M. - Voulez-vous m'écrire la dernière ligne du Premier Livre de l'Enéide ?

Rép. - « Attendez... Omnibus errantem terris et fluctibus aestas. »

[C'était bien cela.]

S. M. - C'est bien. Mais il est possible que je l'aie su. Pouvez-vous aller dans la bibliothèque, prendre l'avant-dernier volume du deuxième rayon, et me lire le dernier paragraphe de la page 94 ? Je ne sais pas quel est le livre, et j'en ignore même le titre.

[Après un court laps de temps, on obtint ceci par l'écriture automatique] : « Je prouverai par un court récit historique que la Papauté est une nouveauté qui, graduellement, s'est élevée et a grandi depuis les temps primitifs du Christianisme pur, non seulement depuis l'âge apostolique, mais, même, depuis la lamentable union de l'Eglise et de l'Etat par Constantin. »

(Le volume en question se trouvait être une oeuvre bizarre ayant comme titre : Roger's Antipopopriestian, an attempt to liberate and purify Christianity from Popery, Politikirkality and Priestrule.

L'extrait donné ci-dessus était exact, saut le mot narrative substitué au mot « account ».)

S. M. - Comment se fait-il que je sois tombé sur une phrase aussi bien appropriée ?

Rép. - « Je ne sais, mon ami, c'est l'effet d'une coïncidence. Le mot a été changé par erreur. Je m'en suis aperçu quand c'était fait, mais je n'ai pas voulu le corriger. »

S. M. - Comment lisez-vous ? Vous écriviez plus lentement, par accès et par saccades.

Rép. - « J'écrivais ce que je me rappelais, et j'allais ensuite lire plus loin. Il faut faire un effort spécial pour lire. Cela n'a d'utilité que comme preuve. Votre ami avait raison hier au soir ; nous pouvons lire, mais seulement quand les conditions sont très bonnes. Nous allons lire une fois encore, nous écrirons, et ensuite nous vous donnerons l'impression du livre : « Pope est le dernier grand écrivain de cette école de poésie, la poésie de l'intelligence, ou plutôt de l'intelligence mélangée à l'imagination. » Ceci est vraiment écrit. Allez prendre le onzième volume sur le même rayon.

[J'y pris un livre intitulé : Poésie, Roman et Rhétorique.]

« Il va s'ouvrir pour vous à la page voulue. Prenez et lisez, et reconnaissez notre pouvoir et la permission que nous donne Dieu, grand et bon, de vous montrer notre puissance sur la matière. Gloire à Lui. Amen. » (Le livre, ouvert à la page 145, montra que la citation se trouvait parfaitement vraie. Je n'avais pas vu le volume auparavant ; il est certain que je n'avais aucune idée de ce qu'il renfermait. S. M.) [Ces volumes se trouvaient dans la bibliothèque du docteur Speer.]

Dans les dernières pages du même livre, en concluant, après avoir rapporté des faits innombrables, sir Lodge écrit :

Nous découvrons que des amis défunts, dont quelques-uns nous étaient bien connus et avaient pris une part active aux travaux de la société pendant leur vie, spécialement Gurney, Myers et Hodgson, prétendent constamment communiquer avec nous, dans l'intention bien arrêtée de prouver patiemment leur identité et de nous donner des correspondances croisées entre différents médiums. Nous découvrons aussi qu'ils répondent à des questions spécifiques, d'une manière caractéristique, de leurs personnalités connues et qu'ils témoignent de connaissances qui leur étaient propres.

Les théoriciens du subconscient font de celui-ci un être doué de propriétés intellectuelles transcendantales. Quoi d'étonnant s'ils paraissent expliquer ainsi certaines manifestations de l'esprit ? Mais tandis que la théorie spirite est claire, précise et s'adapte parfaitement à la nature des phénomènes, l'hypothèse de la subconscience reste vague et confuse.

Devant les faits que nous venons de signaler, on peut se demander en vertu de quel accord universel ces inconscients cachés dans l'homme, qui s'ignorent entre eux et s'ignorent eux-mêmes, sont unanimes, au cours des manifestations occultes, à se dire les Esprits des morts. Comment pourraient-ils connaître et communiquer des détails minutieux sur l'identité de ceux-ci ?

C'est ce que nous avons pu constater nous-même dans les innombrables expériences auxquelles nous avons pris part, durant plus de trente années, sur tant de points divers, en France et à l'étranger. Nulle part, les êtres invisibles ne se sont présentés comme les inconscients ou moi supérieurs des médiums et autres personnes présentes. Ils se sont toujours annoncés comme des personnalités différentes, jouissant de la plénitude de leur conscience, comme des individualités libres, ayant vécu sur la terre, connues des assistants, dans la plupart des cas, avec tous les caractères de l'être humain, ses qualités et ses défauts, et, fréquemment, ils donnaient des preuves de leur propre identité23.

Ce qu'il y a de plus remarquable en ceci, croyons-nous, c'est l'ingéniosité, la fécondité de certains penseurs, leur habileté à échafauder des théories fantaisistes, dans le but d'échapper à des réalités qui leur déplaisent et les gênent.

Sans doute, ils n'ont pas prévu toutes les conséquences de leurs systèmes ; ils ont fermé les yeux sur les résultats qu'on en peut attendre. Ne se rendant pas compte que ces doctrines funestes annihilent la conscience et la personnalité en les divisant, ils aboutissent logiquement, fatalement, à la négation de la liberté, de la responsabilité et, par suite, à la destruction de toute loi morale.

En effet, avec ces hypothèses, l'homme serait une dualité ou une pluralité mal équilibrée, où chaque conscience agirait à sa guise, sans souci des autres. Ce sont de telles notions qui, en pénétrant dans les âmes et devenant pour elles une conviction, un argument, les poussent à tous les excès.

Au contraire, tout dans la nature et dans l'homme est simple, clair, harmonique, et ne parait obscur et compliqué que par un effet de l'esprit de système.

De l'examen attentif, de l'étude constante et approfondie de l'être humain, il résulte une chose, l'existence en nous de trois éléments : le corps physique, le corps fluidique ou périsprit et, enfin, l'âme ou esprit. Ce que l'on nomme l'inconscient, la personne seconde, le moi supérieur, la polyconscience, etc., c'est tout simplement l'esprit qui, dans certaines conditions de dégagement et de clairvoyance, voit se produire en lui comme une manifestation de puissances cachées, un ensemble de ressources que ses existences antérieures ont accumulées en lui et qui étaient momentanément cachées sous le voile de la chair.

Non, certes, l'homme n'a pas plusieurs consciences. L'unité psychique de l'être est la condition essentielle de sa liberté et de sa responsabilité. Mais il y a en lui plusieurs états de conscience. A mesure que l'esprit se dégage de la matière et s'affranchit de son enveloppe charnelle, ses facultés, ses perceptions, s'étendent, ses souvenirs se réveillent, le rayonnement de sa personnalité s'élargit. C'est là ce qui se produit quelquefois, à l'état de sommeil magnétique. Dans cet état, le voile de la matière retombe, l'âme se dégage et les puissances latentes reparaissent en elle. De là, certaines manifestations d'une même intelligence, qui ont pu faire croire à une double personnalité, à une pluralité de consciences.

Cependant, cela ne suffit pas à expliquer les phénomènes spirites ; dans la plupart des cas, l'intervention d'entités étrangères, de volontés libres et autonomes, s'impose comme la seule explication rationnelle.

C'est donc vainement que les critiques s'acharnent contre le spiritisme. Dès qu'on examine avec attention leurs arguments, ils s'évanouissent comme de la fumée : hallucination, suggestion, inconscient subliminal, ne sont que des mots. Quand on les a mis en avant, on croit avoir tout dit. En réalité, ils n'expliquent rien et les problèmes subsistent dans toute leur étendue. La pratique du spiritisme présente des ombres, des difficultés, des dangers. Mais n'oublions pas qu'il n'est aucune chose au monde, si belle et si profitable fût-elle, qui ne soit dangereuse si l'on en abuse.

Il en est ainsi du spiritisme. Etudiez ses lois, obéissez à ses règles, n'abordez l'expérimentation qu'avec un sentiment pur et élevé, et vous reconnaîtrez bientôt sa grandeur et sa beauté. Vous comprendrez qu'il deviendra la force morale de l'avenir, la preuve la plus certaine de la survivance, la consolation des malheureux, le suprême refuge des naufragés de la vie. Déjà il pénètre partout. La littérature en est imprégnée. La presse périodique lui consacre de fréquents articles. La science, qui l'a si longtemps bafoué, change peu à peu d'attitude envers lui. Les Eglises, qui pensaient en avoir facilement raison, se voient obligées de recourir à toutes leurs armes pour le combattre. Il est même proclamé dans un certain nombre de chaires ; tous les jours nous voyons des prêtres vénérables, des pasteurs et des croyants affirmer leur foi en lui.

Il triomphera, parce qu'il est la vérité, à qui rien ne peut résister. Il serait aussi difficile d'arrêter la marche des astres, de suspendre le mouvement de la terre, que d'arrêter les progrès de cette vérité qui s'est révélée au monde et de faire revenir les hommes à leurs doutes, à leurs incertitudes, à leurs négations antérieures.

*
* *

Résumons-nous et concluons. On le voit, à travers l'épaisse brume où flotte, depuis tant de siècles, la pensée humaine, tâtonnant à la recherche de l'inconnu, le phénomène spirite ouvre une large trouée de lumière. Les chimères enfantées par le passé s'évanouissent : il n'est plus de séparation définitive, plus d'enfer éternel ! L'Au-delà se révèle dans ses mystérieuses profondeurs, où se déploie la vie infinie, où se meuvent les forces divines. L'angoisse des départs, le désespoir des séparations fait place à la joie des retours et à l'enivrante promesse des réunions entrevues.

Toutes les âmes qui s'aiment se retrouvent, pour poursuivre ensemble leur évolution ascendante, de vie en vie, de monde en monde, et monter vers la perfection, vers Dieu, dans une lumière toujours plus vive, au sein d'harmonies toujours grandissantes. La révélation des Esprits, communiquée en d'innombrables messages parlés et écrits, obtenus sur tous les points du globe, vient nous montrer le but suprême de la vie, de toutes nos vies24.

Ce but, c'est la libération par le travail, par l'effort, par l'étude, par la souffrance, par la lente éducation de l'âme à travers toutes les conditions de la vie sociale, qu'elle doit subir tour à tour, la libération du mal, de l'erreur, de la passion, de l'ignorance ; c'est l'art d'apprendre à penser par soi-même, à juger, à comprendre toutes les harmonies, toutes les lois du sublime Univers. C'est la conquête de la beauté, de la liberté, de la bonté : la beauté de la forme fluidique, du corps éthéré qui se transforme, s'illumine et s'épanouit à mesure que l'esprit s'éclaire, se purifie et s'élève, la beauté de l'âme qui s'enrichit de qualités morales, de forces et de facultés nouvelles.

Ainsi, d'ascensions en ascensions, de monde en monde d'abord, de soleil en soleil ensuite, dans le cycle immense de son évolution, l'âme voit s'accroître sa puissance de radiation et de lumière. Par l'élévation graduelle de ses pensées et la pureté de ses actes, elle arrive à mettre ses propres vibrations en harmonie avec les vibrations de la pensée divine, et de là découle pour elle une source abondante de sensations, de perceptions, de jouissances, que la parole humaine est impuissante à décrire.

Telle est la tâche à accomplir ! Mais cela ne suffit pas encore. En travaillant pour soi-même, il faut travailler pour les autres, pour leur élévation, la marche en avant des humanités, l'unification des pensées, des croyances, des aspirations. Orienté vers un idéal grandiose d'avenir, de progrès moral, de lumière, dans la vie toujours renouvelée, par laquelle tous les êtres sont unis dans une solidarité étroite, dans une communion de vérité et d'amour, l'homme arrivera à mieux connaître, mieux comprendre, mieux servir Dieu !

A vous qui parcourez ces pages, je dirai en terminant : aux moments difficiles de votre vie, à l'heure des épreuves, quand vous perdrez un être aimé, ou si vos espérances longtemps caressées viennent à s'écrouler, lorsque votre santé s'effondrera, lorsque votre vie s'affaiblira lentement, et que vous verrez s'approcher l'heure finale, celle où il faut quitter la terre ; si, à ces moments, l'incertitude ou l'angoisse vous serrent le coeur, alors souvenez-vous de la voix qui aujourd'hui vous dit : Oui, il y a un Au-delà ! oui, il y a d'autres vies ! Rien n'est perdu de nos souffrances, de nos travaux, de nos larmes. Aucune épreuve n'est inutile ; nul labeur n'est sans profit, aucune douleur sans compensation... Ayez confiance en vous-même, confiance dans les forces intérieures cachées en vous, confiance en l'avenir sans fin qui vous est réservé. Ayez la certitude qu'il y a dans l'Univers une Puissance souveraine et paternelle, qui a tout disposé avec ordre, justice, sagesse, amour. Cela vous inspirera plus d'assurance dans la vie, plus de courage dans l'épreuve, plus de foi en vos destinées. Et vous avancerez d'un pas ferme dans la voie infinie qui s'ouvre devant vous.


10 Voir, pour ces trois cas, les Annales des sciences psychiques, 1° et 16 janvier 1910, p. 7 et suiv.


11 P. 323 et suiv.


12 Lettre du 9 mai 1912 publiée dans Light.


13 Journal of the American Society P. R. (mai).


14 Revue scientifique et morale du spiritisme, février 1905.


15 Voir Dans l'Invisible, chap. IX et X.


16 Voir Annales des Sciences psychiques, août, septembre et novembre 1907, février 1909.


17 PIERRE JANET, l'Automatisme psychologique.


18 Voir AKSAKOF, Animisme et Spiritisme.


19 Voir Dans l'Invisible.


20 Voir CROOKES, Recherches sur le Spiritualisme.


21 A. BENEZECH, les Phénomènes psychiques et la question de l'Au-delà, 1 vol. ; Fischbacher, 1911.


22 La Survivance humaine, par sir OLIVER LODGE, traduit par le docteur Bourbon. Paris, 1912, Félix Alcan, éditeur.


23 Voir Dans l'Invisible, Identité des Esprits, chap. XXI.


24 Voir Après la Mort, le Problème de l'Etre et de la Destinée, Christianisme et Spiritisme.